On peut s’attendre à ce que Damas lance une offensive au nord

Ce fut l’affaire de quelques semaines pour que le régime de Bachar Al-Assad et ses ­alliés reprennent la quasi-totalité de la vieille ville d’Alep-Est aux rebelles. L’opposition syrienne est sur le point de perdre l’un de ses grands bastions, au terme d’une offensive terrestre fulgurante et sur fond de bombardements incessants. D’ores et déjà, d’aucuns anticipent que la fin de ce long siège dévastateur signe plus largement la déroute de la révolte armée, tout en modifiant en profondeur les dynamiques du conflit.

S’il est difficile de prédire en l’état quels seront les effets de cette défaite sur la reconfiguration des équilibres au sol à long terme, une chose reste néanmoins certaine : la reconquête d’Alep ne signifie en aucun cas la fin de la violence qui ravage le pays depuis plus de cinq ans, loin de là.

De fait, passé son retrait immédiat d’Alep, la rébellion islamiste contrôle toujours de vastes pans du territoire, à commencer par la province d’Idlib, le fief de l’organisation Etat islamique à Al-Bab et les zones frontalières avec la Jordanie et le Golan, au sud. Alep tombée, ces fronts acquièrent une importance renouvelée, préfigurant possiblement une polarisation encore plus extrême des lignes de faille.

Radicalisation encore plus forte

Scénario le plus probable, la « guerre d’usure » de Damas contre ses opposants va se poursuivre, en direction des différentes enclaves tenues au nord par les insurgés. Al-Bab pourrait être un premier objectif, visant à freiner la progression des rebelles soutenus par la Turquie et à pousser les Kurdes à la négociation. Mais il est plus logique qu’Idlib, zone insurgée la plus étendue, soit une cible prioritaire.

Articulée autour d’une kyrielle de factions principalement salafistes djihadistes, qui regroupent des milliers de combattants, la chute annoncée d’Alep pourrait y signifier une radicalisation plus forte encore, notamment autour des très influents Hommes libres du Levant (Ahrar Al-Cham) et du Front de la conquête du Levant (Jabhat Fatah Al-Cham) qui dominent la résistance.

La stratégie du second, officiellement séparé d’Al-Qaida depuis juillet 2016, consiste à placer sous sa coupe les autres groupes, « modérés » comme plus radicaux, ce qui n’est pas sans susciter de vives tensions au sein d’un paysage armé par ailleurs très éclaté. Si les futures opérations se concentrent dans cette province, l’une des problématiques sera celle du positionnement des forces de l’opposition : coopération resserrée avec le Front de la conquête contre le régime, pourparlers avec celui-ci ou reddition ?

La partie russe au centre

Dans le cas où la première option prévaudrait, la perspective d’une solution négociée avec le régime s’éloignerait tout en renforçant ce dernier. Soulignons de surcroît que les acteurs internationaux, au premier rang desquels les Etats-Unis et la Russie, ne se résoudront jamais à la légitimation d’un groupe djihadiste en Syrie ; on peut plutôt s’attendre à une accentuation de leurs frappes aériennes.

L’opportunité la plus réaliste s’offrant aux rebelles pour assurer leur survie se situe ainsi du côté de la Turquie, entrée en guerre en août 2016 pour y combattre l’YPG kurde (partenaire de Washington qu’Ankara considère comme terroriste) et, dans une moindre mesure, l’organisation Etat islamique. Cette participation active a permis la sécurisation d’une portion significative de territoire, de même qu’un flot continu d’armes, de munitions et de ressources, et enfin une coordination renforcée entre rebelles pour compenser leurs échecs répétés.

Faire montre d’un plus grand pragmatisme

Mais Ankara pourrait avoir perdu son intérêt à défaire Al-Assad, au-delà des déclarations belliqueuses faites par Recep Tayyip Erdogan. Dans la réalité, des discussions ont cours, qui placent la partie russe au centre. Cette évolution a déjà poussé une partie des rebelles à abdiquer leur idéal d’une lutte sans merci et à faire montre d’un plus grand pragmatisme.

En l’absence de changement des plans de guerre des protagonistes respectifs, on peut raisonnablement s’attendre à ce que Damas, à plus ou moins brève échéance, lance donc une nouvelle offensive au nord, indiquant non seulement la poursuite de la guerre civile syrienne mais peut-être même son basculement dans une séquence encore plus terrifiante.

Par Myriam Benraad, université de Limerick (Irlande) et Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam)

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