L’épisode de l’opposition des Parlements francophones de Belgique à l’accord de libre-échange entre le Canada et l’UE (CETA) est, à bien des égards, exceptionnel. Tout d’abord, c’est la première fois qu’une entité subétatique en vient à bloquer la signature (et non pas la ratification) d’un accord international entre l’UE et un pays tiers.
D’autre part, il s’agit du premier véritable veto d’une autorité politique européenne aux accords de libre-échange dits de «nouvelle génération». En effet, devant les blocages à répétition de l’OMC, de nombreux pays ont décidé de prendre les devants et de conclure entre eux des accords de libre-échange incluant de nouvelles dimensions (services, protection des investissements etc.)
Ces nouveaux types d’accords ont été conspués par une partie significative de l’opinion publique européenne et surtout par une part significative de la société civile (surtout en Allemagne). Mais jusqu’à présent, aucun pays ou entité subétatique européenne n’avait été jusqu’à les mettre réellement en péril.
Ceci dit, peut-on véritablement affirmer que l’opposition des Parlements francophones de Belgique au CETA a été réellement «utile»?
Il est indéniable que cette opposition a trouvé un écho auprès d’une partie de l’opinion publique qui ne souhaite pas davantage de libéralisation commerciale. Elle possède donc une certaine légitimité politique. Mais elle est aussi sous-tendue par des motifs moins avouables.
Une bravade à vocation de politique intérieure
Sous couvert d’un rejet de principe du libre-échange de nouvelle génération, les partis de gauche francophones s’attaquent en fait au gouvernement central belge et surtout au Premier Ministre de centre-droit Charles Michel. Ils lui reprochent de les avoir considérablement marginalisés dans le jeu politique belge.
Cette bravade vise donc à rééquilibrer les rapports de pouvoir au sein du Royaume. Cette attaque contre le CETA vise aussi à donner des gages aux électeurs socialistes wallons qui seraient tentés de se tourner vers la gauche radicale.
Deux poids, deux mesures
Autre hypocrisie: ceux qui ont soutenu, voire qui se sont enthousiasmés pour la décision des Parlements francophones ont souvent mis en avant la problématique des arbitrages privés inclus dans le CETA. Selon eux, ces instances présenteraient un biais néolibéral et posséderaient un caractère antidémocratique.
Sur le fond, ces critiques sont soutenables. Mais il faut savoir que les pays européens imposent souvent des mécanismes de protection des investissements assez similaires à ceux en place dans le CETA lorsqu’ils concluent des accords de libre-échange – particulièrement avec des pays non-occidentaux.
Dès lors, la question se pose: les Occidentaux refuseraient-ils entre eux les arrangements qu’ils imposent pourtant aux autres?
Un «machin»
Pour finir, comme il fallait le craindre, ce blocage belge n’a rien changé sur le fond. A la dernière minute, un compromis belgo-belge a été trouvé et a permis aux Canadiens et aux Européens de signer le CETA.
Ce compromis, de nature politique et non juridique, est censé notamment donner des garanties quant à la provenance des experts siégeant dans les instances d’arbitrage privé. Les parlements francophones n’ont donc pas réussi à amender le texte du CETA.
En d’autres termes, cet épisode n’a guère servi les opposants au libre-échange de nouvelle génération. Par contre, il aura réellement réussi à ralentir le processus de conclusion d’un traité international de premier plan. Il aura surtout donné l’impression, une fois de plus, que l’UE est devenu un «machin» politique ingérable parce que constamment bloqué par des forces minoritaires plus opportunistes que sincères.
Cenni Najy, chercheur à l’Université de Genève et responsable du dossier européen pour le think tank foraus