Orlando : un silence pas très gay

 A Orlando, ce jeudi. Photo Spencer Platt. AFP
A Orlando, ce jeudi. Photo Spencer Platt. AFP

Plusieurs jours après la terrifiante tuerie à Orlando, la plupart des dirigeants des pays arabes et musulmans ne se sont toujours pas décidés à condamner cet acte barbare, à manifester la moindre émotion pour les victimes. Pourquoi ? Qu’attendent-ils ? Il est inutile d’espérer une réaction franche, audacieuse de leur part. Les victimes étaient des gays, des lesbiennes et des transgenres. Elles ne comptent pas pour eux. Elles méritent ce qui leur est arrivé, se disent-ils.

Dans ce silence assourdissant, qui s’est exprimé alors le premier au nom des Arabes et des musulmans ? Assez étrangement, c’est Daech qui a semblé soudain remplir ce rôle. L’organisation terroriste a très vite revendiqué ce massacre. Aucun homme politique arabe (ou presque) n’a pris la peine d’exprimer un autre point de vue, sans jeu de mots diplomatiques. Personne ne veut mêler son nom à cette «saleté». Qu’ils soient de gauche ou de droite, conservateurs ou modernistes, les politiciens arabes n’hésitent jamais à exploiter la religion pour maintenir le peuple dans l’ignorance, l’injustice, et à écraser les mouvements sociaux.

Pour le dire d’une manière plus claire : on est en plein mois du ramadan et, franchement, il ne faut pas casser les oreilles des Arabes et des musulmans avec ces histoires indécentes, impures. Orlando, c’est tellement loin. Et Daech fait des dégâts encore plus importants dans les pays arabes. N’est-ce pas ?! Les pédés, les lesbiennes et leurs amis, ça n’existe pas chez nous de toute façon. Allez, ouste ! Ce n’est pas notre problème !

Les homosexuels sont bien seuls. Je suis marocain, musulman, homosexuel, je vis à Paris et je me suis senti si seul dimanche. Terrifié et seul.

Même en Occident, le combat politique pour la cause des gays n’est pas encore gagné. Loin de là. Aux Etats-Unis, ce sont rarement les musulmans qui les attaquent. Les républicains, les télévangilistes et une bonne partie de la population se chargent fièrement de le faire. Barack Obama est plus que gay-friendly, mais les résistances continuent d’empoisonner la vie des homosexuels américains. Et comme si ce n’était pas assez, les voici au cœur même de ce qui agite et fait trembler le monde entier en ce moment : la menace jihadiste. Daech. Le nihilisme. Le chaos partout.

Soudain, le sort tragique d’un homosexuel américain à Orlando a rejoint celui, tout aussi tragique, d’un homosexuel irakien musulman jeté du haut d’un immeuble pour donner l’exemple et installer la terreur dans les cœurs. C’est exactement la même image. Pour réaliser son projet terroriste, l’Américain Omar Mateen a acheté légalement toutes les armes dont il avait besoin et il est allé jusqu’au bout de sa mission : mourir en «martyr». Le FBI n’y a vu que du feu.

La tuerie de dimanche condense en elle-même toutes les folies et toutes les impasses que nous vivons aujourd’hui. C’est sûr, la boîte de Pandore ne sera plus jamais refermée. Les intérêts des uns et des autres sont trop importants, les forces sont trop engagées sur certains terrains pour faire marche arrière. Et l’Occident, qui se veut garant de la démocratie et des droits de l’homme, répand lui-même des discours ambigus, dangereux, nationalistes et des fois franchement racistes.

Encore une fois, c’est l’islam qu’on désignera comme coupable de la tragédie d’Orlando. Encore une fois, on fera volontairement des amalgames en s’acharnant sur les musulmans et non pas sur leurs dirigeants. Encore une fois, les homosexuels seront sacrifiés, utilisés là-bas comme ici pour prouver que c’est nous, pas eux, qui avons raison.

C’est peut-être cela qui me terrifiait le plus dimanche. La cause homosexuelle va être exploitée d’une manière décomplexée dans des débats désormais dominés par les esprits les plus conservateurs, les plus populistes, les plus ouvertement xénophobes. Il y a comme un sentiment de recul dans l’air. Partout. On nous ramène à des cases, à des définitions étroites. Les droits des minorités paraissent certains jours si fragiles, si peu importants, nous dit-on, face à des menaces plus grandes.

Qui dit vrai ? Qui manipule qui ? Qui va empêcher ce monde d’exploser pour de vrai ? Qui va sauver les homosexuels dans les pays arabes et musulmans ? Qui va les aider à s’émanciper, sincèrement et loin de tout néocolonialisme ?

Dimanche, le désespoir a atteint un nouveau degré. Sur un site marocain, je lisais les commentaires en dessous des articles consacrés à la tuerie d’Orlando. 80 % d’entre eux étaient remplis de haine, de violence et de justifications pseudo-religieuses. Sur un site français, les commentaires étaient remplis de colère et, quand ils parlaient des Arabes et des musulmans, truffés d’erreurs, d’ignorance abyssale et de racisme assumé. Bien sûr, il y a encore dans ce monde des gens qui croient que l’espoir doit rester vivant - je fais partie de ces idiots. Bien sûr, on croise encore des personnes inspirantes, courageuses. Mais, chaque nuit, au moment d’éteindre la lumière, nous savons que nos rêves ne seront désormais que des cauchemars. Des morts lointains, qu’on ne voyait qu’à travers les écrans de nos télévisions, qu’on ne considérait jamais, s’invitent dans nos têtes, nos corps, pour nous demander des comptes. Personne n’est innocent. Le sang coule. Coule. On ne sait plus comment l’arrêter. Et tout le monde veut la peau des homosexuels.

Abdellah Taia, écrivain, auteur de «Un pays pour mourir», Seuil, 2015.

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