OTAN: la rhétorique de l’unité

L’Alliance atlantique a été aussi souvent décriée, par les politiciens et les médias, comme problématique, superficielle, voire moribonde, qu’elle a été qualifiée de revigorée et de florissante. Des politiciens de tous bords, suivant des orientations de politique étrangère très différentes, ont apprécié et compris chacun à leur manière la nature du partenariat transatlantique. George W. Bush, Lionel Jospin, François Mitterrand ou Gerhard Schröder, voire Tony Blair, n’ont pas apporté le même soutien à l’OTAN que Helmut Kohl, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Bill Clinton ou David Cameron.

La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a récemment voulu clarifier la position de l’administration Obama sur l’OTAN et sur la sécurité transatlantique en général. Dans un discours passé quasiment inaperçu, prononcé le 29 janvier dernier à Paris, elle a fait quelques déclarations assez fortes à propos de la relation transatlantique, qu’elle n’a pas hésité à qualifier de «pierre angulaire de la sécurité mondiale et puissante force pour le progrès global… destinée à relever certains des plus importants défis de l’histoire humaine». Et l’Europe, qui d’après Hillary Clinton est à nouveau au centre des préoccupations de politique étrangère et de sécurité américaine, a elle été désignée comme «le modèle du pouvoir transformateur de la réconciliation, de la coopération et de l’action communautaire». Comme si souvent par le passé, la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide ont servi d’analogies commodes pour présenter les Etats-Unis et l’Europe comme une entité unie sur la scène mondiale.

La secrétaire d’Etat a ensuite énuméré une liste de menaces à différents niveaux que les Etats-Unis et l’Europe pourraient affronter ensemble. L’Europe d’Hillary Clinton est une Europe qui comprend la Russie. Les Etats-Unis et la Russie pourraient même envisager d’adopter une politique commune face à l’Iran.

Et pourtant, les autres mesures énoncées par Hillary Clinton pour promouvoir la sécurité, que ce soient le projet de bouclier antimissile, la diversification des sources d’énergie pour garantir la sécurité énergétique ou un cadre européen de sécurité stable sous l’égide d’institutions comme l’OTAN, l’OSCE et le Conseil OTAN-Russie, n’accordent aucune place aux préoccupations et aux récentes propositions du gouvernement russe. Après tout, l’unité entre l’Europe et les Etats-Unis a un prix, qui dans ce cas consiste à nier l’esprit d’initiative des Russes et à les obliger à s’en remettre aux institutions internationales pour exprimer leurs préoccupations.

Qui reste-t-il donc pour «former une unité»? L’Union européenne, prétendument unifiée. Selon Hillary Clinton, l’unité entre les Etats-Unis et l’Europe se fonde sur le partage de valeurs communes, à savoir les notions de liberté et de démocratie, et sur une longue histoire commune. Tout cela est sans doute très vrai mais, comme l’histoire l’a démontré, certains pays européens sont davantage des partenaires naturels des Etats-Unis que d’autres. L’Europe dans son ensemble n’est pas toujours le partenaire privilégié, par choix ou par fatalité, des Etats-Unis.

Alors qu’Hillary Clinton a consacré beaucoup de temps à l’énumération des points communs entre les Etats-Unis et l’Europe, elle a survolé une question liée à l’une des principales menaces pesant sur le monde d’aujourd’hui: la manière dont les Européens et les Américains perçoivent la lutte contre le terrorisme et la guerre en Afghanistan. Encore une fois, l’unité a un prix, celui d’ignorer les dissensions si l’on veut présenter un front uni. En résumé, il est difficile de parler d’une Europe unifiée, ou d’une relation transatlantique unifiée dans tous les domaines.

La secrétaire d’Etat américaine a trop rapidement fait de l’Alliance atlantique «la pierre angulaire de la sécurité mondiale et une force puissante pour le progrès global». Sa rhétorique ne s’est pas encore traduite par des actes. L’ambivalence d’Hillary Clinton pourrait devenir contagieuse et porter un coup fatal au projet transatlantique si les attentes croissantes continuent à être déçues.

Le secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, et le ministre allemand de la Défense, Karl-Theodor zu Guttenberg, parmi d’autres, ont reconnu lors de la conférence de Munich sur la sécurité la semaine dernière que l’Alliance était divisée. Mais chacun en a tiré une leçon différente: Rasmussen souhaite transformer l’OTAN en une organisation mondiale de sécurité, plus flexible, tandis que zu Guttenberg préfère d’abord parvenir à un consensus au sein de l’OTAN. Bien que tous deux conviennent du fait que l’Alliance atlantique n’a pas fait son temps, des divergences existent sur la manière de préserver sa pertinence.

L’unité est une tâche en devenir. Il faut, pour définir une politique de sécurité unifiée, que chaque partie ait le sentiment d’être entendue. Il est rassurant de voir que l’Alliance atlantique est à nouveau présente dans les préoccupations et les discours des responsables politiques, ce qui garantit qu’elle servira de forum où tous ses membres pourront échanger leurs points de vue sur la meilleure manière de préserver leur sécurité nationale.

Potentiellement, elle peut également rassembler des ressources militaires importantes sous son commandement. Tant les Européens que les Américains doivent au final clarifier la relation entre l’OTAN et l’Union européenne ainsi que d’autres organisations internationales, non seulement pour ce qui est de définir les cibles concrètes et géographiques de chaque organisation, mais également concernant les relations mutuelles qu’elles doivent entretenir. Les précédentes modalités de coopération, telles que l’accord dit de «Berlin plus» et «l’approche globale», qui ont tenté de réglementer ou du moins de coordonner les relations entre l’OTAN et l’Union européenne, sont périmées ou, ironiquement, pas assez globales.

Hillary Clinton a fait un pas, certes ambitieux, en direction de ses homologues européens. De leur côté, Rasmussen et zu Guttenberg ont également évoqué la question de la sécurité transnationale. Reste à savoir si la secrétaire d’Etat américaine et ses collègues européens sauront joindre l’acte à la parole

Stephanie C. Hofmann, professeure à l’IHEID de Genève.