Ouagadougou et la fin de la violence

A Burkina Faso gendarme stands guard next to burnt cars outside Splendid Hotel in Ouagadougou on January 18, 2016 following a jihadist attack by Al-Qaeda-linked gunmen late on January 15. AFP / ISSOUF SANOGO
A Burkina Faso gendarme stands guard next to burnt cars outside Splendid Hotel in Ouagadougou on January 18, 2016 following a jihadist attack by Al-Qaeda-linked gunmen late on January 15. AFP / ISSOUF SANOGO

Quand et comment tout cela finira-t-il? À peine la question posée, les médias nous informent déjà de nouvelles agressions, de nouveaux attentats, de nouveaux massacres! Cris. Larmes. Indignation. Et comme un sentiment d’impuissance devant ce qui surgit à l’improviste, à Paris, Istanbul, Bamako, Ouagadougou – ce dernier drame impliquant des compatriotes nationalement ou personnellement connus. L’émotion ne nous dispense pas, auraient-ils sans doute affirmé, de réfléchir âprement sur les violences de notre temps, non par complaisance ou voyeurisme, complices du crime et du malheur, mais bien plutôt dans la résolution d’entrouvrir quelque chose qui ressemble à un apaisement. Fin de la violence?

Celle-ci paraît se présenter comme un cycle vicieux, sans commencement ni fin. Pas de commencement: toute violence se légitime d’une autre qui l’a précédée. Pas de fin non plus: la pacification de l’Europe que l’on croyait acquise semble aujourd’hui fragilisée.

La violence ne cesse de monter aux extrêmes

La violence, pour Clausewitz, théoricien de la guerre, et pour Girard, anthropologue de La Violence et le sacré, non seulement se nourrit de soi-même au fil du temps, mais ne cesse de «monter aux extrêmes». Au cours de son histoire cependant, l’humanité a inventé une succession de dispositifs qui lui ont permis de bénéficier d’un sursis (indéfiniment?) reconductible. Paradoxe étonnant d’intelligence: elle a su faire usage de la violence pour dompter la dynamique infernale de la violence!

Le bouc émissaire

Ainsi le mécanisme du bouc émissaire, modélisé par René Girard, construit un lien social à peu près pacifié en focalisant sur un seul élément du groupe (individu ou communauté) la violence qui tendait à contaminer dangereusement la société tout entière.

L'Etat moderne

Puis l’inefficacité progressive du mécanisme du bouc émissaire ouvre l’ère de l’État moderne (Hobbes). Avec l’accord des individus-citoyens, celui-ci assume «le monopole de la violence physique» en vue de la sécurité de tous.

La tradition libérale

La tradition libérale enfin (Montesquieu) a pensé que l’économie pouvait constituer un facteur de paix, en prônant, contre la contagion mimétique de la violence, l’indifférence réciproque, la poursuite des intérêts égoïstes au sein de la sphère privée.

Ces trois dispositifs, comme le souligne le philosophe Jean-Pierre Dupuy, «contiennent» la violence tout en se servant d’elle, «contenir» signifiant à la fois «inclure en soi» et «faire obstacle». Le sacré, mais aussi bien l’État, l’économie, sont à l’évidence violents. Mais ces instances sont également des instances de pacification: le rite sacrificiel, les contraintes étatiques au profit de la sécurité publique et la médiation des objets marchands freinent la montée aux extrêmes de la violence.

La violence n'est plus contenue

Or, voici: les attentats du groupe «Etat islamique», ainsi que les exécutions cruelles largement médiatisées par lui, rompent radicalement avec chacun de ces dispositifs, vident le verbe «contenir» de son sens bénéfique (faire obstacle) et le chargent explosivement de sa signification destructrice.

Car l’attentat kamikaze nie radicalement le rôle de la justice d’un État de droit. Par son suicide ou son exposition volontaire aux balles de ses ennemis, le terroriste se soustrait à toute évaluation judiciaire.

Mais l’attentat suicide ne vise pas non plus la satisfaction d’intérêts économiques: aucun avantage substantiel ne découle des massacres de Bamako ou de Ouagadougou. Aucun objet, aucun intérêt, aucun échange ne pointent à l’horizon de ces actes barbares.

L'impasse du sacrifice

Reste le sacrifice. Contrairement aux apparences, ce dispositif est à son tour anéanti par les crimes djihadistes. Certes, dans les attaques islamistes, l’Occident, ses institutions, ses valeurs et ses mœurs, occupent la place du bouc émissaire. Mais contrairement à ce qu’il se passe dans un sacrifice, le sacrificateur meurt avec sa victime et se transforme lui-même (ou tente de se transformer) en victime – ce qui, en retour, justifie les attaques à venir menées par ses coreligionnaires.

La mise en échec du dispositif sacrificiel dans les attentats suicides préfigure la fin, c’est-à-dire, en clair, l’autodestruction du groupe «État islamique». Car la perversion du processus victimaire – le bourreau ne cherchant plus son propre avantage ni celui de son groupe – ne peut que provoquer sa perte.

Ainsi se définit la violence pure, celle qui ne conduit à rien, celle qu’on ne parvient d’aucune manière à convertir en un avantage quelconque pour qui que ce soit. Celle qui, absolument, déraille ou déraisonne. Souhaitons toutefois que le cours de l’histoire nous surprenne, demain, à suivre des voies qui nous conduiraient quelque part…

Pierre-Martin Lamon, philosophe.

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