Oui, on peut faire quelque chose pour la population d’Alep

En août, Médecins sans frontières (MSF) a pu faire parvenir un dernier convoi d’aide médicale aux hôpitaux d’Alep Est. Depuis, le siège de la ville a été continu. Ce n’est que par Skype et téléphone que nos équipes perçoivent la réalité du personnel médical syrien. Ces derniers mois, les médecins nous ont raconté les pénuries, les difficultés à soigner sous les bombes. Depuis quelques jours, ils nous parlent aussi de la terreur que leur inspire leur sort immédiat, la peur des représailles pour avoir voulu soigner en zone rebelle, leur volonté d’être évacué.

Dans les derniers soubresauts de la reconquête d’Alep à tout prix, il faut continuer à exiger des belligérants qu’ils permettent aux civils de fuir sans risquer leur vie. Une possibilité sur laquelle ils avaient jusqu’à présent toujours refusé de s’entendre. Depuis le mois de septembre, les rebelles ont plusieurs fois rejeté cette option, certains groupes armés allant jusqu’à interdire aux civils d’emprunter les couloirs mis en place par le gouvernement syrien et ses alliés. Mardi, les forces d’opposition et le gouvernement sont enfin parvenus à un accord. Entre-temps, les hésitations du régime ont continué à exposer la population à des bombardements et aux exactions des combattants pro-gouvernementaux.

Hier, les premiers convois de civils ont enfin pu quitter Alep. Des équipes de MSF se sont positionnées à Atimah, dans le gouvernorat d’Idlib, prêtes à leur venir en aide avec 45 tonnes de matériel médical

Il faut continuer à exiger que la population puisse continuer à fuir Alep-Est en espérant que l’émotion médiatique suscitée par le déluge de bombes incite le gouvernement syrien et russe à faire preuve de clémence sur le sort des civils. Mais il faut aussi garder à l’esprit que l’extrême violence qui caractérise la reprise de la ville n’est que le reflet grossissant de ce qui se passe dans la province voisine d’Idlib, où des centaines de milliers de déplacés sont piégés.

La population d’Idlib est en effet elle-même sous le feu d’une intense campagne de bombardements : depuis juin 2016, les médecins du réseau d’hôpitaux soutenu par MSF dans cette région ont rapporté 54 attaques sur des soignants et des structures médicales. Les services de santé en zone d’opposition y sont ciblés par l’armée loyaliste depuis le tout début du conflit, en 2011. Selon la loi antiterroriste syrienne, soigner un blessé dans les zones contrôlées par l’opposition comme Idlib peut officiellement être qualifié de crime sanctionné comme soutien matériel au terrorisme.

Face aux immenses difficultés des services de santé souterrains à prendre en charge les blessés de guerre et les malades souffrant d’affections chroniques, principales causes de mortalité avant-guerre, MSF a dû elle-même entrer en clandestinité pour apporter de l’aide à la population syrienne. Car nous n’avons jamais été autorisés par le gouvernement de Damas à intervenir en Syrie.

A ces restrictions, il faut ajouter l’insécurité liée au morcellement du contrôle territorial de la province d’Idlib par différents groupes armés, dont certains s’en prennent aux ONG, victimes d’enlèvements, d’arrestations arbitraires et de nombreuses entraves. Il est donc aujourd’hui très difficile pour MSF et tout acteur humanitaire d’aider les populations d’Idlib à la hauteur des besoins.

La province d’Idlib, vers laquelle les derniers civils d’Alep sont censés être évacués, n’est donc pas un refuge pour les populations déplacées. Et nombre d’entre elles voudraient pouvoir fuir, d’abord vers la Turquie. Mais la frontière est hermétiquement fermée pour les Syriens ainsi condamnés à subir une guerre totale dont peu sortiront indemnes.

Il faut donc exiger le rétablissement immédiat du droit de fuite, afin que les populations puissent trouver refuge dans un endroit où elles ne risquent pas à chaque instant d’être bombardées, massacrées. Pour cela, la Turquie doit ouvrir ses frontières. Et pour l’y inciter, les pays occidentaux doivent aussi donner un signal fort en se déclarant prêts à accueillir bien plus généreusement qu’ils ne l’ont fait jusqu’à présent les Syriens dont ils pleurent aujourd’hui le sort à Alep. Il s’agit de la même histoire, des mêmes personnes.

Mego Terzian, médecin, président de Médecins sans frontières.

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