Pandémie : s'assurer d'un accès universel et sans rationnement aux futurs traitements et vaccins

Un vaccin expérimental contre le Covid-19 développé par la compagnie chinoise Sinovac Biotech, actuellement testé sur des cellules de singes, à Pékin, le 29 avril. Photo Nicolas Asfouri. AFP
Un vaccin expérimental contre le Covid-19 développé par la compagnie chinoise Sinovac Biotech, actuellement testé sur des cellules de singes, à Pékin, le 29 avril. Photo Nicolas Asfouri. AFP

La course aux molécules contre la pandémie de Covid-19 est engagée. Les Etats et leurs systèmes de santé, les entreprises, les fondations philanthropiques se mobilisent afin de développer toutes les options thérapeutiques en matière de tests diagnostiques, vaccins et traitements. Ces outils sont une condition nécessaire pour répondre au plus vite à cette pandémie mondiale. Mais ils ne sont pas suffisants à eux seuls pour permettre de l‘endiguer: ils ne formeront une solution véritablement efficace contre la pandémie que s’ils sont effectivement accessibles pour tout le monde et partout. De la même façon que la crise n’est pas seulement sanitaire au regard de l’ampleur de l‘épidémie, la réponse à la crise repose sur des stratégies qui ne sont pas uniquement thérapeutiques.

S’attaquer aux barrières financières et industrielles liées aux monopoles et brevets est une partie de la solution. Il s’agit bien sûr en premier lieu d’une préoccupation éthique et humanitaire: comment accepter de ne pas pouvoir soigner lorsqu‘un traitement existe mais que vous ne pouvez pas l’utiliser parce qu’il est hors de prix? C’est aussi une question éminemment politique dans la mesure où les Etats sont garants de la santé de leur population. C’est enfin un enjeu de gouvernance et d’une allocation juste et efficace des ressources des Etats, quand les traitements, vaccins et tests qui seront développés le seront largement grâce aux financements publics et à des systèmes publics de santé qui permettent l’organisation d’essais cliniques de qualité.

Hélas, ce qui devrait être une évidence ne va pas de soi. Médecins du monde a été trop souvent témoin, dans ses actions en France et à l’international, de rationnements dans l’accès aux soins en raison de prix trop élevés au regard des ressources disponibles dans les systèmes de santé. Le cas le plus emblématique est celui de l’hépatite C. Quand les nouveaux traitements contre cette maladie sont arrivés en Europe en 2014, leurs prix et le nombre de personnes concernées (41 000 euros en France pour 230 000 personnes), ont contraint la plupart des Etats européens à organiser un rationnement. Les pouvoirs publics avaient alors privilégié une stratégie de gestion de l’épidémie, plutôt que d’éradication.

De l’utilisation de la licence d’office

Pour les traitements contre l’hépatite C, l’Etat disposait pourtant d’une solution pour organiser un accès universel sans rationnement: la licence d’office. Il s’agit d’un outil juridique qui permet de faire primer le droit à la protection de la santé sur celui de la propriété privée et des intérêts financiers qui lui sont associés. La licence d’office autorise la puissance publique à lever temporairement le monopole conféré par un brevet sur un médicament, contre rémunération équitable pour l’industriel détenteur du brevet; cela a pour effet immédiat d’ouvrir la voie à des versions génériques d’un médicament. La licence d’office permet ainsi la mise à disposition massive de traitements de qualité à des prix soutenables pour le système de santé.

Mais le gouvernement de l’époque avait renoncé à utiliser cet outil juridique puissant et ancré de longue date dans notre droit. Lorsque la France avait accordé, en 1959, le régime des brevets aux médicaments, la licence d’office avait été explicitement conçue par les décideurs comme une mesure de sauvegarde en cas de prix anormalement élevé. Face à la pandémie de Covid-19, autrement contagieuse, et alors que la France compte déjà de trop nombreux décès, le gouvernement actuel ne doit pas faire la même erreur.

A ce jour, aucun traitement, ni aucun vaccin, n’ont permis de démontrer une efficacité contre le coronavirus permettant d’entrevoir la fin de l’épidémie; mais les efforts actuels de la recherche pourraient voir une solution émerger dans un avenir proche. La question de la licence d’office pourrait se poser, non seulement pour ces produits de santé, mais, dès aujourd’hui, pour les tests diagnostiques.

Anticiper plutôt que d’être en réaction

Nous avons là l’opportunité d’anticiper, et non plus d’être uniquement en réaction comme l’est le système de santé depuis le début de cette crise. C’est pourquoi Médecins du monde appelle le président de la République et le gouvernement à commander dès aujourd’hui les expertises juridiques qui permettront de déclencher des licences d’office pour les médicaments, vaccins et tests diagnostiques du Covid-19 quand le besoin apparaîtra.

Nous demandons aussi que soit créé un espace de concertation avec la société civile (associations d’usagers, médicales et de santé publique) afin de coconstruire avec l’Etat et l’industrie pharmaceutique le cadre d’utilisation de la licence d’office. Ceci permettra de favoriser l’usage, l’appropriation et le pilotage politique de cet outil. Il s’agit de créer les conditions juridiques et politiques favorables à la mise en œuvre effective de la licence d’office, ainsi que d’éviter les barrières juridiques, comme l’exclusivité des données.

Le Chili, l’Equateur, l’Allemagne, Israël et le Canada ont déjà pris des initiatives pour faciliter et anticiper l’octroi de licences d’office dans le cas où les tests diagnostiques, traitements, ou vaccins deviendraient inaccessibles en raison de quantités insuffisantes ou de prix élevés. Au niveau de l’Organisation mondiale de la santé, des solutions sont discutées pour que les brevets et les prix des vaccins et innovations thérapeutiques contre le Covid-19 ne deviennent pas un frein à l’accès universel aux médicaments et à la lutte contre la pandémie. La France doit également s’engager dans cette dynamique, des vies sont en jeu.

Dr Philippe de Botton, président de Médecins du monde France.

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