Le spectaculaire coming out d’un prêtre polonais et les sévères sanctions dont il a fait l’objet relancent la question de l’homosexualité en plein synode sur la famille à Rome. En dissociant l’homosexualité des homosexuels, l’Eglise catholique avait trouvé le moyen de sortir du registre de la sanction des personnes pour mettre l’accent sur l’immoralité de l’acte réprouvé.
En un mot, il s’agit de condamner le péché plutôt que le pécheur. Les paroles du pape François dans l’avion qui le ramenait du Brésil en 2013 : « Si une personne est homosexuelle et cherche vraiment le Seigneur, qui suis-je pour la juger ? », s’inscrivent aisément dans cette logique.
Considérée comme un « phénomène moral et social inquiétant », l’homosexualité est qualifiée de « péché gravement contraire à la chasteté ». Pour l’Eglise, les actes homosexuels « ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas. » En revanche, les homosexuels, hommes et femmes, doivent être accueillis avec amour et commisération.
Ne pas perturber l’ordre hétérosexuel
Cette tolérance compassionnelle à l’égard des individus accompagnée d’une condamnation ferme de toute politique de banalisation de l’homosexualité articule le magistère. « Un certain nombre, non négligeable, d’hommes et de femmes présentent des tendances homosexuelles foncières », constate le catéchisme ; « ils ne choisissent pas leur condition homosexuelle ; elle constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. »
L’idée que l’orientation sexuelle soit exclusivement innée est nouvelle. La tradition théologique avait plutôt tendance soit à considérer qu’il existait deux types d’homosexualité (innée et acquise), soit à penser plutôt qu’en tant que péché elle ne pouvait être que le fruit d’un choix délibéré.
Si les homosexuels peuvent être tolérés, c’est à condition que leur orientation sexuelle soit vécue dans l’abstinence et le silence. Autrement dit, elle ne doit nullement perturber l’ordre hétérosexuel en tant qu’ordre naturel instauré par Dieu. Seule l’hétérosexualité correspond à l’exigence de différenciation car, pour l’enseignement de l’Eglise, c’est uniquement le désir sexuel pour des personnes du sexe opposé qui est à l’origine de la reconnaissance de l’altérité, aussi bien d’un point de vue affectif que moral et spirituel.
Dans la « Lettre aux évêques de l’Eglise catholique sur la collaboration de l’homme et de la femme dans l’Eglise et dans le monde », la congrégation pour la doctrine de la foi condamne la pensée féministe et la théorie du genre comme étant une idéologie qui tend à « gommer la différence des sexes ». Cette différence, inscrite dans la biologie, doit également se manifester dans la vie culturelle. Le féminisme et le mouvement homosexuel sont accusés d’occulter cette différence.
« Un mal moral »
Après avoir qualifié l’homosexualité comme un « mal moral » et comme un « désordre objectif, contraire à la sagesse créatrice de Dieu », Benoît XVI, alors cardinal Ratzinger, va jusqu’à légitimer le développement de l’homophobie de la manière suivante : « Cependant, la saine réaction contre les injustices commises envers les personnes homosexuelles ne peut en aucune manière conduire à affirmer que la condition homosexuelle n’est pas désordonnée. Quand on accueille de telles affirmations et dès lors admet comme bonne l’activité homosexuelle, ou quand on introduit une législation civile pour protéger un comportement auquel nul ne peut revendiquer un droit quelconque, ni l’Eglise ni la société dans son ensemble ne devraient s’étonner que d’autres opinions et pratiques déviantes gagnent également du terrain et que croissent les réactions irrationnelles et violentes. »
Si l’Eglise a renoncé à la terminologie ancienne, n’utilisant jamais le mot « sodomie » ou l’expression « contre-nature », il n’en demeure pas moins que la représentation qu’elle véhicule de l’homosexualité demeure pratiquement la même depuis l’élaboration des premiers traités de morale sexuelle au début de l’ère chrétienne.
Dire que l’homosexualité favoriserait la création d’un espace d’indifférenciation sexuelle n’a rien d’original, Jean Chrysostome dénonçait déjà ces effets au IVe siècle. Tout désir est désir pour la différence, si l’homosexuel désire le même, ce n’est que parce qu’il est envahi par le démon, notait Pierre Damien au XIe siècle. Thomas d’Aquin, au XIIIe siècle, comparait l’homosexualité au meurtre, puisqu’elle empêche l’engendrement de la vie.
L’encouragement des amitiés homosexuelles, tout en interdisant le passage à l’acte, ne constitue pas non plus une nouveauté. Augustin estimait déjà que, si les amitiés masculines peuvent être considérées comme la source de l’amour le plus parfait, c’est à condition qu’elles soient complètement dépourvues de concupiscence et de plaisir charnel.
Farouchement opposée à la dépénalisation de l’homosexualité dans les pays de l’Europe de l’Est pendant les années 1990, l’Eglise catholique livre aujourd’hui ses nouveaux combats contre le mariage gay et la filiation homoparentale. Pour ce faire, elle a actualisé sa rhétorique. Les prescriptions bibliques trouveraient, d’après le Vatican, un sens qui peut être donné non pas tant par la théologie classique, mais plutôt par l’usage que l’Eglise entend faire de l’anthropologie et même de la psychanalyse.
Les gays et les lesbiennes catholiques attendent beaucoup du pape François : l’actuel synode sera le théâtre qui permettra de constater le changement ou la continuité de l’Eglise en la matière.
Daniel Borrillo, juriste, chercheur associé au CNRS, Cersa et l’auteur de Le Droit des sexualités (PUF, 2009).