Paris-Beyrouth-Ankara : solidarité oblige !

Le colloque international qui s’ouvre à Paris sur «la démocratie de la place publique» (1) renforce l’analyse qui doit être menée sur l’événement du 13 novembre et sur son lien avec les attentats d’Ankara, le 10 octobre, et de Beyrouth, le 12 novembre, perpétrés par Daech. Les trois pays visés le sont pour leur implication dans la lutte contre l’Etat islamique : la France dès la formation de la coalition en août 2014, la Turquie beaucoup plus récemment, à l’été 2015, et le Liban à travers le parti Hezbollah chiite qui a été frappé dans son bastion beyrouthin. Mais les similitudes entre les trois événements vont plus loin. En effet, l’EI ne s’est pas seulement attaqué à des Etats souverains mais aussi et d’abord à des sociétés et à leurs aspirations libérales, démocratiques. On l’a souligné depuis vendredi soir, le lieu des attentats de Paris désignait des quartiers de cultures vivantes, de jeunesses contestataires, de populations plurielles, unies dans une même vision d’un monde pacifique, tolérant et laïque. A Ankara, l’attentat a ciblé une «manifestation pour la démocratie et le travail» organisée à l’initiative du parti démocrate pro-kurde HDP et d’associations civiles, représentatives elle aussi d’une jeunesse engagée et d’un espoir de paix par la démocratisation de la Turquie. L’attentat de Beyrouth a visé un quartier civil, limitrophe du fief du Hezbollah, Ain el-Sekke, connu pour sa dimension populaire, qui ne se réduit pas au seul soutien à l’organisation chiite. La violence infligée à ces populations a été, de par le mode opératoire et la cruauté des assassinats, implacable ; elle était destinée à punir et terroriser des sociétés, en tuant le maximum de ses représentants. Avec ces attentats, les trois pays ont connu de fait les bilans les plus meurtriers depuis de nombreuses années.

Les similitudes se mesurent dans la réaction des sociétés à l’événement. Au-delà de l’action des Etats, on observe de larges prises en charge sociales de la mémoire des disparus, de la douleur des vivants et du deuil collectif, ces expériences définitives qui fondent les sociétés dans leur autonomie morale. La volonté aussi de commémorer et de se souvenir, grâce aux nouveaux espaces d’Internet mais aussi sur les lieux des attentats (rassemblements spontanés, fleurs et messages écrits ou dessinés) témoigne d’un courage partagé. C’est le courage de résister avec les valeurs mêmes que condamne l’EI, ces valeurs de solidarité sociale, de paix civile, de liberté politique. Faire que les morts de Paris, d’Ankara et de Beyrouth ne l’aient pas été en vain est la réponse à la terreur de sociétés résolues à conserver ou à conquérir la maîtrise de leur destin.

Aussi Paris doit-il regarder de l’autre côté de la Méditerranée, vers cet Orient traversé d’une grande complexité, où il est possible de mesurer la résistance du social s’incarnant dans la «démocratie de la place publique», à travers le mouvement de Gezi de juin 2013 ou bien, plus récemment, les protestations des gens de Beyrouth dressés contre la corruption. Construire ce savoir ici et maintenant, c’est aussi montrer à la jeunesse immigrée que la France sait s’ouvrir au monde et n’en a pas peur, parce qu’elle s’emploie à le comprendre, à le vivre par-delà les frontières mentales ou matérielles. Aller vers cette connaissance, n’est-ce pas déjà créer cette solidarité entre les sociétés résistantes ?

Vincent Duclert, Historien, chercheur au Cespra, EHESS.


(1) Amphithéâtre François Furet, EHESS, 105 bd Raspail, 75006.

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