Parle-leur

Depuis le début de «l’intifada des couteaux», le Premier ministre d’Israël a eu maintes occasions d’utiliser un micro : tour à tour, il a condamné, s’est mis en colère, a menacé de représailles, a aussi assuré que les forces de sécurité avaient la capacité de surmonter ces attaques… Néanmoins, il s’est abstenu d’une chose : il ne s’est pas adressé directement aux jeunes kamikazes palestiniens, de façon humaine, avec des mots d’espoir, afin de tenter de mettre fin à leurs actes criminels et de leur indiquer, ainsi qu’à nous-mêmes, la possibilité d’un avenir meilleur.

Or, dès les débuts du sionisme, les dirigeants de la population juive en terre d’Israël, puis ceux de l’Etat d’Israël ont pris soin d’adresser aux pays arabes et aux Palestiniens, y compris par-delà leurs dirigeants, un appel constant à la paix et à une coexistence digne. Même pendant les périodes les plus sombres, alors que les pays arabes et les Palestiniens niaient absolument notre droit à l’existence et nous menaient des guerres inexpiables, les dirigeants d’Israël n’ont pas renoncé à se tourner vers leurs ennemis les plus irréductibles et les plus acharnés (tel le président égyptien Gamal Abdel Nasser) en proposant le dialogue, le compromis, des offres de paix réelles qui n’avaient rien de faux-semblants.

Car, dès le moment où une présence sioniste a débuté en terre d’Israël, les juifs avaient conscience qu’ils ne pourraient pas vaincre ni faire disparaître leurs adversaires. Et que même les défaites impitoyables que ces derniers essuyaient n’étaient que temporaires et partielles. Et que, tôt ou tard, les Israéliens seraient obligés de déployer des efforts conséquents pour permettre aux Arabes et aux Palestiniens de reconnaître la légitimité de l’existence d’Israël à leur côté et non à leur place. C’est ainsi qu’a été reconnue, avec des difficultés inouïes, une certaine légitimité formelle de la part de l’Egypte et de la Jordanie après la signature d’accords de paix, tandis que le dossier palestinien demeure toujours l’obstacle principal.

Loin de moi l’idée de revenir sur des choses connues, mais nul ne doute qu’une donnée inédite et grave a surgi dans cette intifada individuelle des couteaux et des suicides qui se déroulent en ce moment. Il y a là deux éléments inédits et très dangereux : nous sommes témoins d’une opposition personnelle et spontanée qui se passe de moyens sophistiqués pour accomplir son dessein. En outre, l’étendue de ses attaques est plus vaste : du Goush Etsion jusqu’à une demeure privée à Ramat Gan ou à Herzliya. Elle n’émane pas d’une organisation clandestine qu’on peut surveiller et neutraliser. Ses caractéristiques sont épouvantables : un adolescent de 16 ans poignarde un soldat de 18 ans dans une station-service et le tue, avant d’être lui-même abattu par un autre soldat. Ou une jeune fille de 14 ans qui plante ses ciseaux dans le corps d’un passant avant d’être tuée, alors qu’elle est à terre. Le désespoir, la mort au hasard, la vengeance immédiate sans jugement. Voilà le mélange le plus meurtrier qui puisse intervenir entre individus des deux peuples censés cohabiter, selon un tel scénario, dans un Etat binational ou dans deux Etats voisins et mitoyens possédant une longe frontière commune.

Un dirigeant digne de ce nom, qui ne gouverne pas à courte vue mais réfléchit à l’avenir, doit comprendre que ses paroles ont du poids. Au-delà des bataillons et peut-être des régiments qu’il compte poster à tous les carrefours. Au-delà de la destruction des maisons, des couvre-feux et de barrages supplémentaires, il a l’obligation de dire aux jeunes Palestiniens qu’il existe, tout de même, un espoir de coexistence pacifique et qu’ils n’ont pas le droit de le perdre totalement, en choisissant la voie unique de la vengeance et du suicide. Le Premier ministre doit aussi s’opposer au déchaînement du racisme et aux chimères d’un transfert de la population palestinienne, qui ne pourra jamais être exécutée, car aucun pays n’acceptera d’accueillir les expulsés.

Un dirigeant digne de ce nom ne doit pas attendre le secrétaire d’Etat américain pour offrir des assouplissements concrets et initier des programmes positifs et vitaux susceptibles de redonner un espoir aux Palestiniens. Si le Premier ministre a déclaré récemment devant les caméras, à la résidence du Premier ministre britannique, qu’il était disposé à rencontrer le président de l’Autorité palestinienne même à Ramallah et sans conditions préalables, il doit répéter cet engagement chaque jour pour faire sortir Mahmoud Abbas de son fatalisme assoupi et passif et pour qu’ils essaient, de concert, de formuler quelque plan commun et significatif pour enrayer le désespoir meurtrier qui fait rage entre les deux peuples qui, pour le moment, concerne des dizaines de sicaires mais qui est susceptible d’entraîner à sa suite des centaines, voire des milliers d’individus.

Le président de l’Etat d’Israël, Reuven Rivlin, a compris cette donne. Et bien qu’il soit officiellement partisan du Grand Israël, alors que Benyamin Nétanyahou se dit, non moins officiellement, en faveur de deux Etats, les militants de l’extrême droite attaquent brutalement le premier pour l’unique raison qu’il exprime un espoir de paix et parce qu’il considère les Palestiniens comme de proches voisins pour toujours.

Eh oui, le Premier ministre doit prendre exemple sur le président de l’Etat, un membre de son parti, et faire tout ce qui est en son pouvoir pour essayer de refréner un processus aussi mortel dont les conséquences sont incalculables.

Abraham B. Yehoshúa, ecrivain israélien. Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche.

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