Parlement européen : « Le coup d’Etat permanent » des conservateurs

Dans l’article 3 de ses statuts, le Parti populaire européen (PPE) qui regroupe les partis nationaux de la droite conservatrice au sein de l’Union européenne (UE), se targue de « promouvoir le processus d’unification et d’intégration fédérale en Europe en tant qu’élément constitutif de l’Union européenne ». Que n’ont-ils appliqué leur propre précepte lors de la dernière session du Parlement européen à Strasbourg pour voter en faveur des listes transnationales ? Quelqu’un pourrait-il nous expliquer ce qui pourrait contribuer davantage à un « processus d’unification et d’intégration » de l’Union européenne que la création d’une démocratie paneuropéenne ?

Tous les cinq ans, les élections européennes s’apparentent en effet à une addition d’élections nationales, où l’Europe est un sujet secondaire, et au terme desquelles des citoyens, au demeurant de moins en moins nombreux, expriment leur mauvaise humeur à l’encontre de leur gouvernement du moment.

On se demande bien d’ailleurs pourquoi ils se déplaceraient en masse puisque dans la foulée du scrutin, et dans le huis clos du Conseil européen, les chefs d’Etat et de gouvernement font sortir de leur chapeau souverain le nom du président de la Commission européenne. Aucun électeur, ou presque, n’en aura jamais entendu parler auparavant. Et c’est donc à juste titre qu’il aura ensuite l’impression de subir sa politique, sans avoir eu son mot à dire.

L’opacité de ce système était devenue si lourde à assumer politiquement que le Parlement européen était parvenu à imposer une novation lors des élections européennes de mai 2014 : le « Spitzenkandidät» [chef de fil]. Il était convenu que les partis politiques européens désigneraient chacun un champion dont la vocation était d’être nommé à la tête de l’exécutif européen si son parti emportait le plus de suffrages.

Un jeu pipé

L’avancée démocratique était modeste, mais je m’y ralliais avec enthousiasme pour les démocrates et les libéraux, ainsi que Martin Schulz pour les socialistes. Les conservateurs ont dû se faire prier pour jouer le jeu. Pourtant nous savions tous que c’était un jeu pipé où eux seuls pouvaient gagner. D’ailleurs ils ont gagné, bien que leur porte-drapeau ne se soit même pas fait élire dans son propre pays.

C’est pourquoi, avec des collègues de tous les groupes et de toutes les nationalités, nous avions adopté en commission parlementaire un nouveau mode d’emploi pour les élections européennes de 2019. Profitant du Brexit, et donc du départ des eurodéputés britanniques, nous proposions de réduire globalement le nombre d’élus, d’en réallouer à certains Etats pour rééquilibrer leur représentativité démographique – la France en gagne ainsi cinq –, et enfin de créer une circonscription unique européenne pour un nombre restreint mais symbolique de députés, vingt-sept, soit autant que d’Etat de l’UE à cette date.

L’idée était d’une limpide simplicité démocratique : les Spitzenkandidaten des partis politiques européens conduiraient chacun une liste transnationale, permettant à l’ensemble des citoyens européens d’identifier clairement et de voter directement pour ceux qui dirigeront la Commission européenne.

En toute hypocrisie, au regard de ses principes fondateurs, les conservateurs, en étroite concertation avec les eurosceptiques de tout bord, ont finalement saboté en plénière cette avancée démocratique majeure, avec des arguments tellement abscons qu’ils ont renoncé à en user devant la presse pour avouer la vérité : il s’agissait de contrer les proeuropéens, et Emmanuel Macron en particulier, de crainte que les listes transnationales ne bousculent la politique européenne. La belle affaire ! Des élections qui pourraient remettre en cause l’ordre établi par le PPE ? Il ne manquerait plus que ça !

Main dans la main avec les eurosceptiques

Alors plutôt que d’aller à l’affrontement sur le terrain électoral, et contester les réformes profondes défendues par le président français et d’autres, et qu’aurait pu incarner une liste transnationale ouverte au vote de tous les citoyens réformateurs de l’UE, le PPE a opté pour le coup d’Etat préventif. Couper l’herbe des électeurs sous le pied des réformateurs et conserver la bonne vieille méthode de la désignation du président de la Commission par un cénacle intergouvernemental qu’ils dominent. On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

Mais cette soif de pouvoir ne se limite pas à empêcher l’irruption d’une majorité alternative et réformatrice. Le conservatisme chevillé au corps, le PPE s’apprête en outre à verrouiller toute perspective budgétaire ambitieuse jusqu’en 2027. C’est le coup d’Etat permanent. Après avoir tué dans l’œuf les listes transnationales, et toujours main dans la main avec les eurosceptiques, le PPE entend désormais éradiquer à la racine tout débat de fond sur le prochain cadre financier pluriannuel.

La racine du problème budgétaire européen est connue, c’est l’absence de ressources autonomes. Les recettes sont pour l’essentiel alimentées par les contributions des Etats membres et c’est dans ce cadre contraint que le PPE prétend faire du neuf en recyclant l’existant, ce qui revient à figer pour sept ans de plus les vieilles structures de dépenses clientélistes, plutôt que d’investir dans la compétitivité de la zone euro et notre sécurité intérieure et extérieure, comme le propose Emmanuel Macron.

Le Conseil européen se réunit la semaine prochaine pour débattre de manière informelle de l’avenir de l’UE, des élections européennes et de son budget. Je forme le vœu que tous les progressistes et réformateurs européens, emmenés par Emmanuel Macron, placent leurs collègues PPE face à leurs contradictions. L’immobilisme n’est pas une option, ni une fatalité. Il est temps de dire halte à ce statu quo mortifère, qui ne fera qu’alimenter l’euroscepticisme et le populisme dont les conservateurs ont de plus en plus de difficulté à se distinguer. Sur ces sujets comme sur d’autres.

Par Guy Verhofstadt, président de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe au Parlement européen.

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