Partenariat transatlantique : attention aux fausses inquiétudes

L’ouverture, lundi 2 février, du huitième round de négociations sur le partenariat transatlantique entre l’Union européenne et les Etats-Unis (Transatlantic Trade and Investment Partnership, TTIP) suscite à nouveau la polémique. Cette nouvelle salve de critiques fait écho aux âpres discussions qui avaient suivi la publication par la Commission européenne, en septembre 2014, de l’Accord de libre-échange avec le Canada (Comprehensive Economic and Trade Agreement – CETA).

Parmi ces critiques, on retiendra celles, particulièrement vives, concernant l’instauration d’un mécanisme spécifique de règlement des différends, qui permettrait aux investisseurs étrangers de saisir, en cas de litige avec un Etat, un tribunal arbitral international chargé d’apprécier le comportement de la puissance publique et, en cas de violation des règles du traité, d’indemniser l’investisseur pour le préjudice subi.

Le trouble vient surtout du fait que, d’une part, les tribunaux en question sont des tribunaux « privés », et non étatiques, et que, d’autre part, des réglementations adoptées dans le but de protéger l’environnement ou la santé, ou encore de résorber une situation de crise économique, peuvent être contestées devant eux.

Les intérêts des Etats mieux protégés

Pourtant, ces inquiétudes ne sont pas nouvelles, pas plus que ne le sont les mécanismes de protection des investissements mis en cause : il s’agit de règles que l’on retrouve habituellement dans les traités sur l’investissement, qui se comptent par milliers et dont les Etats membres de l’Union européenne sont familiers (la France, par exemple, en a conclu une centaine).

Sur la base de ces accords s’est développé un important contentieux dont certaines affaires actuellement en cours suffisent à expliquer la virulence des critiques (par exemple l’affaire Philip Morris, mettant en cause la politique de santé publique de l’Australie, ou l’affaire Vattenfall, en lien avec la décision du gouvernement allemand de sortir de l’énergie nucléaire).

Les débats ont toutefois pris une dimension plus importante dès lors que certains Etats, et notamment l’Allemagne, ont pris le relais des inquiétudes formulées jusqu’alors essentiellement par la société civile.

A l’inverse, des Etats comme les Etats-Unis et le Canada, bien qu’ils aient à plusieurs reprises fait les frais d’un tel mécanisme dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord américain (Alena) continuent d’y être favorables, mais ont très largement modifié leurs accords sur l’investissement, de sorte que les intérêts des Etats soient mieux protégés.

Pure spéculation

Or, le chapitre sur l’investissement de l’accord CETA est largement inspiré de ces nouvelles pratiques nord-américaines et, à n’en pas douter, l’accord avec les Etats-Unis lui ressemblera. Ce chapitre contient plusieurs garanties, introduites en réaction à certains errements passés de la pratique arbitrale, qui visent à éviter les abus de procédure et les plaintes infondées.

Certaines règles visent à s’assurer de l’impartialité et de l’indépendance des arbitres. Surtout, les règles de traitement et de protection des investisseurs y sont mieux définies, là encore dans le but de verrouiller la liberté interprétative des arbitres, afin que l’adoption d’une mesure de réglementation légitime – qui ne serait ni discriminatoire, ni arbitraire, ni disproportionnée – ne puisse pas être considérée comme violant les droits de l’investisseur.

Affirmer que ces traités permettront systématiquement de qualifier d’expropriation l’adoption par l’Etat d’une mesure restrictive adoptée dans un but de santé publique ou de protection de l’environnement est donc pure spéculation. De manière générale, très peu de plaintes d’investisseurs contestant des mesures véritablement motivées par un objectif environnemental ou sanitaire ont abouti devant les tribunaux internationaux. Lorsque l’Etat est condamné, c’est surtout parce qu’il a recouru à des mesures de protectionnisme déguisé.

Ces instruments ne sont toutefois pas exempts de critiques. S’agissant de l’accord avec le Canada, dont on connaît désormais les détails, on en relèvera trois. Tout d’abord, les garanties prévues par l’accord pour éviter qu’un investisseur ne cherche à faire doublement condamner l’Etat devant un tribunal arbitral et devant un juge interne sont encore insuffisantes.

Absence préoccupante de dispositif de contrôle des arbitres

Dans le cadre d’un partenariat où la confiance mutuelle doit prévaloir, pourquoi ne pas envisager le recours à la justice arbitrale à titre subsidiaire seulement, en cas de défaillance flagrante des tribunaux internes ? Ensuite, certaines garanties, telle la protection contre l’expropriation indirecte, peuvent causer des « discriminations inversées », en permettant aux investisseurs étrangers d’être mieux protégés que ne le sont les entreprises locales !

Enfin, l’absence de dispositif de contrôle des arbitres continue d’être préoccupant. L’accord envisage la possibilité de mettre en place un mécanisme d’appel des décisions arbitrales, mais une telle solution, encore à l’état de réflexion, suscite elle-même de nombreuses réserves notamment parce que rien ne garantit que les panélistes de cette instance d’appel soient plus impartiaux que les arbitres.

Il est difficile, à ce stade des négociations de l’accord avec les Etats-Unis, de formuler des réserves aussi précises puisque ces négociations se déroulent sous le sceau de la confidentialité. On ne peut que supposer qu’on y retrouvera des faiblesses comparables puisque les pratiques conventionnelles des Etats-Unis et du Canada sont, dans ce domaine, extrêmement proches. Mais la communication a minima sur le déroulement des négociations et le contenu de l’accord entretient très largement les inquiétudes, fondées ou non.

Plus de transparence permettrait assurément un débat plus éclairé. La Commission européenne a certes récemment diffusé sur son site Web de nombreux documents sur l’état des négociations du TTIP, ou expliquant la position défendue par l’Union européenne. Mais il s’agit de documents très généraux, alors que l’on sait bien que le diable est dans les détails…

Sabrina Cuendet est membre de l’Institut de recherche en droit international et européen de la Sorbonne (Iredies).

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