Pas de guerre sans renoncement

La France a déclaré la guerre à l’organisation Etat Islamique et réciproquement. Le drame du vendredi 13 novembre nous rappelle que l’adversaire ne peut surtout pas être tenu comme quantité négligeable, car il agit sur trois leviers simultanément : la détermination de ses combattants, prêts au sacrifice suprême pour infliger le maximum de pertes à l’ennemi ; la liberté de circulation à l’intérieur de l’Espace Schengen sans contrôle d’identité qui lui permet d’utiliser d’autres pays européens comme base arrière et de repli ; les sympathies que suscitent son action et son projet politique dans une frange, certes très réduite de la population résidente en France, mais non négligeable, frange que l’on peut qualifier de cinquième colonne. La question, quoique douloureuse, est de savoir quels sont les renoncements que la France entend accepter pour protéger son territoire. Une meilleure protection de celui-ci passe par la neutralisation des deux leviers à notre portée, la libre circulation à l’intérieur de l’Espace Schengen et la cinquième colonne.

À plusieurs reprises, la proximité et la densité des relations entre Bruxelles et de Paris ont été mises à profit pour frapper la capitale française. Il faut en conséquence rétablir le contrôle aux frontières en toutes circonstances, tant que l’organisation Etat Islamique n’aura pas été vaincue. Ce rétablissement va être coûteux pour les frontaliers, pour les échanges de toute sorte et, à n’en pas douter, vu l’interpénétration des pays de la zone Euro, cette fermeture de la France sera contraire à l’avancement du projet Européen. Cette mesure va également réduire l’attractivité de notre pays, et demander des moyens humains accrus avec un impact direct en termes de finances publiques.

L’Europe joue aux États-Unis

La situation serait différente si tous les pays européens étaient logés à la même enseigne quant à la vindicte de l’organisation Etat Islamique (EI). Il serait plus facile d’obtenir une véritable action communautaire concertée en matière de police, de justice et de contrôle des frontières extérieures. La France pour affronter cette menace est quasi-seule dans l’espace Schengen, comme l’a été l’Allemagne pour accueillir les vagues de réfugiés. Nous payons très cher cet entre-deux en matière de protection des frontières où nous avons abandonné les attributs de la souveraineté nationale, sans récupérer les bénéfices d’une véritable protection des frontières fédérales. En fait, depuis 30 ans, l’Europe joue aux États-Unis en matière monétaire et de contrôle des frontières sans s’en donner les moyens.

Ensuite, il est à craindre qu’un second sacrifice doive être consenti quant aux libertés publiques, alors que La France doit évidemment continuer à rester une terre d’asile ouverte à toutes les personnes éprises de liberté et de tolérance lorsque ces valeurs sont bafouées dans leur pays. Déjà, la loi sur le renseignement va clairement au-delà de ce qu’un pays pleinement démocratique devrait accepter en tant de paix. Mais il faut aborder la question de la cinquième colonne dans notre pays, des sympathisants actifs de la cause de l’organisation Etat islamique. Combien de massacres faudra-t-il pour que l’on ne se contente plus de repérer ces individus et d’attendre patiemment leur passage à l’acte, leur mutation quelquefois très rapide en martyrs de la cause pour intervenir ? Quand ils agissent, il est déjà trop tard, et l’on ne peut continûment parier sur leur maladresse ou la chance.

Les mesures prises jusqu’ici nous semblent un pis-aller ou même franchement inquiétantes. L’état d’urgence décrété pour 3 mois ne fait que repousser le problème. Peut-on réellement penser que la menace terroriste de l’organisation EI sera éradiquée dans 3 mois ? La déchéance de la nationalité rappelle de fâcheux souvenirs et ne peut concerner que des personnes qui ont déjà commis des actes gravissimes, puisque c’est une mesure définitive. On ne peut prononcer une telle sanction pour les individus du fichier S, classés comme islamistes radicaux. Nous proposons de mettre en débat l’adoption de deux mesures qui constituerait, il faut bien l’admettre, une violation des droits pour ces individus. La première est la confiscation du passeport. La seconde est l’assignation à résidence avec ou sans port d’un bracelet électronique. Il y a toute raison de penser que ces mesures seront mal vécues par ces personnes. S’ils sont étrangers, ils pourraient vouloir rentrer dans leur pays. Les Français ainsi visés pourraient songer à émigrer. Dans les deux cas, le passeport leur sera rendu mais aucune assurance ne leur sera donnée quant à leur réadmission sur le territoire. Ces mesures, en quelque sorte conservatoires, leur laissent aussi le temps de revenir à de meilleurs sentiments.

Dérive mortifère

Ces deux renoncements peuvent être jugés contraires à nos traditions et à ce qui fait la grandeur morale de la France. Soit. Mais alors, il est à craindre qu’il nous faille nous résigner à connaître d’une manière répétée des actes de guerre sur notre sol, avec toutes les conséquences politiques, humaines, sociales et économiques qui en résultent. En particulier, ne croyons pas que les touristes, étudiants, hommes d’affaires continueront à vouloir fréquenter la France si nous ne sommes pas capables de faire respecter la paix sur notre territoire. Nous serons boycottés et deviendrons la Tunisie de l’Occident, avec des conséquences délétères en termes de croissance et d’emploi, sans parler de risque de fracture entre communautés. Déjà les récents propos de Marion Maréchal le Pen mettant sur un piédestal la religion catholique ne font l’objet d’aucune réaction, alors même qu’ils sont totalement contraires aux principes de la République française. Ils donnent un avant-goût de la dérive mortifère que le pays pourrait connaître en cas d’échecs répétés de notre politique de sécurité. Le choix n’est pas facile, et les termes de l’alternative ne sont pas réjouissants. Mais le débat ne peut être esquivé.

Nous attendons de nos dirigeants qui ont mis la France en pointe dans la lutte contre l’organisation Etat Islamique, pour le meilleur ou le pire, qu’ils tirent toutes les conséquences de cette décision. Autrement, l’histoire risque d’être sévère à leur endroit, à l’instar du jugement porté sur Guy Mollet en 1956 lorsqu’il a lancé la guerre d’Algérie.

Alain Trannoy est directeur d’études à l’EHESS.

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