Pas en mon nom

Aujourd’hui, la majorité silencieuse doit dire NON à la minorité forcenée : pas d’amalgame, pas en mon nom, ni en celui de ma religion.

La laïcité procure à chacun le confort serein de faire ce qu’il veut de sa religion dans son coin. Pas besoin de remplir des cases sur un formulaire administratif, de détailler sa foi, de préciser sa pratique. C’est ainsi qu’une majorité de musulmans français, européens, silencieuse et moins visible qu’on ne le croit, vit ou pas cette spiritualité.

A chaque acte barbare perpétré au nom d’Allah, on demande à ne pas faire d’amalgame entre une minorité de criminels fous qui n’ont que faire des lois qui régissent nos pays, du simple respect de la vie humaine, et une majorité de citoyens sans histoires qui votent, qui paient leurs impôts et vaquent tranquillement à leurs occupations.

Aujourd’hui c’est cette majorité silencieuse qui doit dire NON à la minorité forcenée: pas d’amalgame, pas en mon nom, ni en celui de ma religion! Beaucoup le pensent déjà très fort, mais dialoguer avec la barbarie n’est pas possible. Se revendiquer de convictions opposées à celles des fanatiques est un risque, parfois mortel. Exprimer des opinions différentes suffit alors à justifier qu’ils usent d’une violence sans limite pour annihiler ceux qui pensent et agissent différemment. On l’a vu, on le voit, le plus souvent à quelques heures d’avion de chez nous, aujourd’hui au cœur de Paris : enlèvements, crimes d'«honneur», tortures, assassinats sauvages. Cette perspective effrayante suffit à passer l’envie à un musulman modéré de s’opposer à un fondamentaliste. Plutôt que d’aller au clash, d’avoir un dialogue de sourds et risquer jusqu’à sa vie, on préfère changer de trottoir. Demandez à une personne d’origine musulmane, elle connaît certainement, ou a entendu parler d’une personne de cette trempe-là. D’une personne assez hallucinée pour se croire le chantre de Dieu sur terre, de nier ou valider la foi d’une personne et donc la valeur de sa vie, et ce, selon des critères d’une étroitesse édifiante. Cette violence absolue, malheureusement, les musulmans l’ont souvent déjà vue avant qu’elle ne soit médiatisée, analysée, critiquée.

Critique des phénomènes de masses et des élans de groupe, farouche partisane de la liberté individuelle de chacun, de s’exprimer ou de garder le silence quand on le souhaite, de disserter ou de rester discret sur ses convictions religieuses, la laïcité républicaine m’offrait le luxe du choix. Souvent c’était celui d’un silence anti-communautariste: refus de la pression d’une communauté imaginée et droit à garder ma spiritualité privée.

Aujourd’hui cette majorité silencieuse et pacifique, dont je fais partie, n’a plus le luxe du silence. Son seul atout, c’est sa taille, c’est son nombre. Seul face à la barbarie, c’est l’annihilation assurée. Tous ensemble, nous pouvons dire «non» plus fort et faire taire les hurlements des forcenés.

Mon père, musulman pratiquant, a toujours laissé traîner une vingtaine de Canards enchaînés entre les toilettes et le salon. À dix ans à peine, les dessins de Cabu me faisaient rire sans que je ne les comprenne vraiment, à quinze ans j’attendais impatiemment «les nouveaux beaufs» de la semaine, à vingt ans l’étudiante en économie que j’étais se délectait des sorties keynésiennes de Bernard Maris. Ceux qui sont morts aujourd’hui ont marqué le développement de mes idées, de mon esprit critique, m’ont donné le goût du débat.

Il ne s’agit pas de recréer une communauté, mais simplement de nous fédérer, le temps d’une lutte, sur notre plus petit dénominateur commun: l’appartenance à une religion au nom de laquelle des crimes insupportables sont perpétrés, le rejet du fascisme religieux et l’attachement aux libertés que nous offre l’Etat de droit.

Pour ce combat, qui se gagnera en nombre ou ne se gagnera pas, je renonce à dire «pas en MON nom», pour crier «pas en NOTRE nom».

Olfa Alouini, économiste.

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