Pays basque : du silence des armes à la construction de la paix

Il y a deux ans, le dernier conflit armé d’Europe occidentale prenait fin. Le groupe armé ETA renonçait à la violence, suite à la conférence de paix qui se tint le 17 octobre 2011 à San Sebastián dans la résidence d’été du général Franco. Mais le silence des armes ne suffit pas. L’enjeu aujourd’hui est de construire une véritable paix, alors que le gouvernement espagnol campe sur son immobilisme, et que ETA n’a pas désarmé. L’espoir le dispute à la frustration, même si des mesures de justice transitionnelle tentent de régler l’héritage d’un demi-siècle de violence.

L’espoir est tangible, car après un millier de morts et une société marquée par les années de plomb, la page de la violence est résolument tournée. Espoir encore, car de nombreuses initiatives en matière de justice transitionnelle ont été lancées pour construire une véritable paix. Les indépendantistes de la gauche «abertzale» (patriotique) ont prononcé de timides demandes de pardon envers les victimes d’ETA et sollicité la constitution d’une Commission vérité et réconciliation. Des membres d’ETA ont, eux aussi, publiquement exprimé des «regrets». En 2012, l’initiative «Glentree» a été rendue publique : en toute discrétion, pendant cinq ans, des victimes d’ETA ainsi que des victimes des commandos parapoliciers du GAL, de l’extrême droite et des violences policières se sont rencontrées et sont parvenues à se mettre d’accord sur un document qui reconnaît les souffrances infligées et invite la société à travailler à un processus de réconciliation.

Tout aussi significatif, le gouvernement basque a approuvé en juin 2012 le décret qui offre une assistance aux victimes de la torture et des violences policières commises entre 1960 et 1978, soit depuis la création d’ETA sous la dictature franquiste jusqu’à l’adoption de la Constitution démocratique espagnole.

Le Parlement basque va maintenant se prononcer sur l’idée de créer une commission qui enquêterait sur les allégations de torture et de mauvais traitements par les forces de sécurité espagnoles de 1978 à 2013. Cette question est politiquement et judiciairement cruciale. Pour Madrid, les seules victimes qui existent sont celles d’ETA. L’affaire est d’autant plus délicate pour les autorités espagnoles que s’il devait s’avérer que des aveux des membres d’ETA ont été extorqués sous la torture, les preuves récoltées ne seraient plus recevables. De leur côté, 10 000 Basques affirment avoir été torturés par les forces de sécurité espagnoles. Différents organes de l’ONU estiment que des mauvais traitements et la torture ont bel et bien été commis par ces forces.

Sur décision du gouvernement basque, un groupe de travail a enquêté sur les violences commises par toutes les parties durant les décennies de conflit. Selon leurs conclusions, ETA a tué 837 personnes et blessé environ 2 500 autres, les forces de sécurité ont tué 94 personnes et blessé près de 750, à quoi il faut ajouter les victimes des groupes parapoliciers et de l’extrême droite, soit 73 morts et plus de 400 blessés. Une analyse à laquelle Madrid ne souscrit pas, refusant d’élargir la catégorie de victimes hors de celles d’ETA.

De surcroît, les points de blocage subsistent. ETA existe toujours. Le groupe armé a laissé entendre qu’il est désormais prêt à désarmer, ce qui constituerait un préalable à sa dissolution. Il attend en contrepartie des gestes du gouvernement Rajoy concernant les quelque 650 prisonniers d’ETA détenus dans les prisons espagnoles et françaises. Madrid et Paris pourraient ainsi renoncer à leur politique de dispersion des prisonniers d’ETA. Madrid peut aussi mettre fin à la doctrine Parot, au nom de laquelle elle détient des prisonniers bien longtemps après qu’ils auraient pu être libérés. Le 21 octobre, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la doctrine Parot était illégale. Il est à espérer que Madrid applique cette décision.

La dynamique de paix engendrée depuis deux ans a produit d’incontestables résultats. L’intimidation et le soi-disant «impôt révolutionnaire» prélevé par ETA pour maintenir son réseau clandestin n’existent plus. Les élections se déroulent dans un climat pacifique. Les nationalistes indépendantistes avec 25% des voix sont mêmes devenus la deuxième force politique du Pays basque aux élections régionales de 2011, derrière le PNV, le parti nationaliste historique basque (mais non indépendantiste) qui obtint 34% des suffrages. Bref, le conflit s’est déplacé sur le terrain politique, même si Madrid campe sur sa vision d’une Espagne unitaire et si les nationalistes basques revendiquent toujours leur droit à l’autodétermination.

Mais la transformation de la situation au Pays basque n’a rencontré jusqu’ici que l’immobilisme de Madrid. De quoi provoquer un sentiment de profonde frustration au sein de larges segments de la société basque. Vraisemblablement, le gouvernement espagnol estime aujourd’hui qu’il n’a plus rien à craindre puisque ETA a décrété unilatéralement la fin de la lutte armée.

Mais cette politique comporte ses dangers. Il y a nécessité que l’adieu aux armes soit ritualisé par la parole des autorités espagnoles. Pour permettre à des militants qui ont vécu ancrés dans leurs certitudes idéologiques de reformuler une identité qui soit désormais ouverte. Et de leur permettre ainsi de réintégrer la société contre laquelle ils étaient en guerre. Le gouvernement espagnol peut prendre des initiatives en ce sens, en particulier, en cessant sa politique de dispersion des prisonniers.

A la mort du général Franco, la transition vers la démocratie s’est construite sur El pacto de olvido («le pacte de l’oubli»). Désormais, la deuxième transition est engagée pour clore définitivement les décennies de braise du conflit basque. Et cette transition, à la différence de la précédente, ne se fera pas sur l’oubli, mais au contraire sur la reconnaissance des responsabilités.

Pierre Hazan, membre du Groupe international de contact pour le conflit basque (GICB), co-organisateur de la conférence de paix de 2011. Spécialiste de justice internationale. Auteur de : «Juger la guerre, juger l’histoire», PUF, 2007.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *