Pendant les vacances, la guerre continue au Sahel

Des soldats nigériens en patrouille près d'un camp de réfugiés à Diffa, le 16 juin 2016 Photo ISSOUF SANOGO. AFP
Des soldats nigériens en patrouille près d'un camp de réfugiés à Diffa, le 16 juin 2016 Photo ISSOUF SANOGO. AFP

Lors d’une récente visite officielle au Nigeria, le président Macron insistait sur les liens entre les différents mouvements terroristes au Sahel. Contre toute évidence, il affirmait que le groupe Boko Haram était dirigé par des gens «venus du nord du Mali». En réalité, la secte jihadiste a été fondée au Nigeria et ses combattants ont toujours été commandés par des Kanouri de la région du Borno [Etat du nord-est du Nigeria, ndlr]. La méprise de Macron est significative de la difficulté à appréhender un conflit dont on entend moins parler.

Pourtant, l’insurrection de Boko Haram est loin d’être terminée. Au contraire, le conflit se complexifie à mesure qu’il se prolonge. D’un côté, on a une nébuleuse fragmentée de jihadistes qui, pour certains d’entre eux, se réclament de la franchise de l’EI. De l’autre, on a des armées réunies au sein d’une coalition antiterroriste qui regroupe le Nigeria, le Cameroun, le Tchad et le Niger. Ces militaires se coordonnent peu entre eux et, avec leurs supplétifs miliciens, ils commettent trop souvent des exactions susceptibles de légitimer le combat des insurgés.

En effet, la stratégie de la coalition antiterroriste est celle de la terre brûlée. Au Nigeria, l’armée brûle villages et marchés pour empêcher les paysans de ravitailler les insurgés. La politique du vide permet aussi au gouvernement de masquer son incapacité à tenir et à administrer les zones reprises à Boko Haram. En l’occurrence pour le pire : les témoignages recueillis par Amnesty International montrent que, pendant les rafles, les militaires tuent surtout les infirmes et les personnes âgées qui n’ont pas le temps de fuir. Quant aux survivants, ils sont rassemblés de force dans des camps dont ils ne peuvent sortir sans l’autorisation expresse des miliciens. Les femmes, en particulier, sont enfermées dans des centres dits de «déradicalisation» afin d’inciter leurs combattants de maris à se rendre aux autorités.

Tout ceci n’est pas sans rappeler les pratiques des Britanniques à l’encontre des boers en Afrique du Sud, il y a maintenant plus d’un siècle. Dans les camps de déplacés, la nourriture est détournée, la malnutrition sévit et on a relevé des taux de mortalité anormalement élevés dans les hôpitaux de campagne de Bama, Banki, Dikwa, Monguno, Rann et Benisheikh. La situation n’est pas meilleure dans les prisons improvisées de la région, où l’on assassine et torture en toute impunité, y compris des femmes et des enfants.

Les lieux de détention sont souvent des casernes, comme à Giwa, près de Maiduguri, dans le Borno nigérian, ou à Salak, près de Maroua, dans le nord du Cameroun. Les mauvais traitements y sont visiblement discrets. Dans l’enceinte de la base de Salak, les militaires américains et français n’ont rien entendu et leur présence tout à côté des centres de torture n’a eu presque aucun écho dans la presse occidentale (lire Libération du 21 juillet, «Internet, unique témoin de l’horreur au Cameroun»). Il est vrai que les soldats camerounais commettent parfois leurs forfaits en brousse. Une récente vidéo les montre ainsi en train d’exécuter deux femmes et leurs bébés au détour d’un sentier.

Les milices nigérianes qui se déploient aux côtés des troupes régulières ne sont pas en reste. Appelées «CJTF» (Civilian Joint Task Force) en écho à l’acronyme anglais de la coalition antiterroriste «MNJTF» (Multinational Joint Task Force), elles sont constituées de jeunes parfois recrutés de force, y compris des mineurs, et elles ont participé de près aux interrogatoires «musclés», sans parler des exécutions extrajudiciaires. De plus, elles ont organisé la prostitution dans les camps de déplacés dont elles détiennent les clés grâce aux laissez-passer qu’elles délivrent contre des faveurs sexuelles.

A l’occasion, elles ont aussi racketté les civils et volé leurs biens en profitant de leur droit à circuler après le couvre-feu. Dans les camps, elles vont jusqu’à perturber délibérément les distributions de nourriture afin de confisquer les cartes de ration alimentaire et créer des désordres susceptibles de favoriser les vols, quitte à entraîner des répressions parfois mortelles contre les débordements de la foule. Dans les campagnes, des chefs coutumiers sont également accusés de détourner l’aide humanitaire et de vendre illégalement des terres aux déplacés. D’autres ont vu leur autorité compromise car ils ont fui les hostilités et se sont avérés incapables de protéger leur communauté. Réfugiés en ville, ils ne sont plus en mesure d’arbitrer les conflits du monde rural.

Le Borno n’est pas la zone la plus touchée par les affrontements entre éleveurs et agriculteurs. En effet, les combats ont empêché les paysans de cultiver leurs champs et obligé les groupes pastoraux à passer par les Etats voisins de l’Adamawa et de Yobe. Il n’en reste pas moins que l’insurrection de Boko Haram se superpose à bien d’autres conflits. C’est cette complexité qu’il faudrait analyser plutôt que de mettre les violences du Borno sur le compte d’une vague internationale jihadiste.

Par Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD).

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