Peut-on aimer un robot?

Les humains ont tendance à s'attacher aux robots, bien que ceux-ci n'éprouvent - et n'éprouveront jamais rien. © BENOIT TESSIER
Les humains ont tendance à s'attacher aux robots, bien que ceux-ci n'éprouvent - et n'éprouveront jamais rien. © BENOIT TESSIER

Les robots vont bientôt évoluer dans notre société et intégrer nos foyers. Les robots sont des machines programmées qui pour certains peuvent simuler des comportements humains affectifs et se montrer empathiques. Cependant il est important de comprendre que les robots ne ressentent rien, ne souffrent pas, ne rêvent pas, n’ont pas de conscience malgré le fait qu’ils pourront dire «je t’aime»! Ces machines seront de plus en plus autonomes grâce à des programmes d’intelligence artificielle sophistiqués, pouvant s’adapter dans certaines circonstances mais elles ne seront pas pour autant capables de sentiments, de créativité et d’imagination tels qu’on l’entend pour les humains. Malgré cela on pourrait s’attacher à elles…

Les robots, créatures artificielles munies d’un corps parfois humanoïde évoluant dans notre monde réel, auront des rôles différents dans notre quotidien: du surveillant à l’assistant ou au compagnon. De nombreuses applications pour la santé, l’éducation, la sécurité ou le divertissement sont envisagées. Créer une relation affective avec les robots n’est plus un sujet de science-fiction mais un thème émergent pour de nombreuses équipes internationales de recherche.

Robot, mon ami

Les capacités affectives des robots se déclinent sous trois aspects technologiques: la capacité à simuler ce qui chez les humains correspondrait à des émotions, la capacité de reconnaître des expressions émotionnelles de l’humain et la capacité de raisonner avec des informations relatives aux émotions. L’affectivité désigne la faculté d’éprouver des émotions. La ressemblance avec un être humain ou un animal, les mimiques faciales, le ton de voix, ou encore l’aspect enfantin ou peluche de certains robots contribue à susciter l’émotion.

Cependant, il est possible d’éprouver des émotions en face de n’importe quel objet. L’humain projette des relations affectives avec des robots non humanoïdes, dépourvus de capacités affectives comme des robots téléguidés démineurs qui sauvent des soldats ou encore des robots aspirateurs. L’attachement est un lien affectif qui résulte de l’attention de l’autre et qui tisse un lien intime entre l’individu et l’objet de son attention. Ainsi il est relaté des histoires de soldats donnant des médailles à leur robot pour leur avoir sauvé la vie et de consommateurs ramenant leur robot pour réparation refusant un échange avec un robot neuf sous prétexte qu’il connaît leur lieu de vie. Certains leur donnent des noms, preuve que l’humain projette une identité sur le robot.

La «media equation» de Reeves et Nass en 1996 explique que nous appliquons les mêmes attentes sociales lorsque nous communiquons avec des entités artificielles et que nous assignons inconsciemment à celles-ci des règles d’interaction sociale. L’anthropomorphisme est l’attribution des caractéristiques comportementales de vie humaine à des objets. Avec ce réflexe, inné et socialement appris, un objet qui semble être dans la douleur peut inspirer de l’empathie. Les chercheurs ont constaté que les humains ressentaient de l’empathie envers des robots maltraités, certes de moindre intensité qu’envers des humains maltraités mais cette empathie n’existe pas envers des objets inanimés. Les recherches récentes grâce à l’imagerie cérébrale indiquent que les individus répondent de façon étonnamment semblable aux images émotionnelles des humains et à celles des entités artificielles telles que les robots. Si nous représentons les robots comme des humains alors il n’est peut-être pas surprenant que nous réagissions avec émotion à ceux-ci. L’homme s’est toujours projeté sur les machines. Mais la ressemblance avec l’humain ne pourrait aller que jusqu’à un certain point si on en croit la théorie de la vallée de l’étrange. Car si l’on va trop loin, le moindre défaut devient monstrueux et la machine est rejetée.

De la science-fiction à la recherche

Depuis la révolution des temps modernes, une relation complexe nous unit aux machines, nourrissant peurs et fascination entretenues par la littérature et le cinéma de science-fiction. L’imaginaire que nous développons autour des robots prend ses racines dans la fiction ("2001 l’Odyssée de l’espace", «Her") et les mythes ("Le Golem"), est stimulé par la médiatisation des premiers robots. Les agents virtuels, les objets connectés et les robots utilisant des algorithmes d’intelligence artificielle peuvent être le terreau de nouvelles croyances: une sensibilité animiste pour lequel les éléments naturels et les animaux ont un esprit.

L’interaction affective et sociale des humains avec des robots soulève plusieurs questions qui s’ajoutent aux questions générales de respect de la vie privée et de protection contre des actes malveillants, notamment sur l’étude des effets. Peu d’expériences ont encore été menées sur l’étude des usages à long terme. L’expression des émotions est un leurre mais l’imitation du vivant peut amener, volontairement ou pas, à prêter à l’artefact des caractéristiques du vivant.

Les questions posées portent sur les conséquences d’un éventuel attachement aux robots, la dépendance aux machines au détriment de contacts humains ou encore sur les capacités de socialisation. Travailler avec les usagers au centre de la boucle dans des contextes réalistes est primordial. Les robots seront dotés d’une autonomie croissance. La confiance que l’on peut placer dans un robot, les possibilités et limites de celui-ci et du couple qu’il forme avec l’utilisateur sont autant de sujets importants. Les préconisations publiées dans le rapport de la CERNA sur l’éthique du chercheur en robotique portent sur trois thèmes: l’imitation du vivant et l’interaction affective et sociale avec les humains, l’autonomie et les capacités décisionnelles et la réparation et l’augmentation de l’homme par la machine.

Concevoir cet univers où les humains cohabiteront avec des entités complexes autonomes va devenir une réalité: diverses formes d’animation et de vie artificielle vont investir ces objets matériels avec lesquels nous allons interagir. Pour quelles fonctions souhaitons-nous créer ces entités artificielles, telle est la question fondamentale à se poser.

Laurence Devillers, professeur à Paris-Sorbonne.

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