Philippe VI a choisi de faire entendre les vérités de l’Espagne constitutionnelle

L’intervention solennelle du roi Philippe VI, mardi 3 octobre, signifie un tournant majeur dans la crise catalane et espagnole. Le chef de l’Etat a invoqué ses fonctions constitutionnelles pour redéfinir le périmètre du conflit politique en cours.

Là où d’aucuns attendaient un message un peu neutre et des paroles suffisamment générales pour amorcer un dialogue, le roi Philippe VI a choisi de faire entendre les vérités de l’Espagne constitutionnelle.

La première est que l’Espagne est une démocratie solide, qui compte quarante ans de pratique démocratique et que dans cette Espagne, toutes les opinions peuvent être défendues et diffusées dans le respect de la loi car « sans ce respect, il n’y a pas de vie démocratique possible en paix et en liberté, ni en Catalogne, ni dans le reste de l’Espagne, ni dans aucune autre partie du monde ».

Garant des institutions

La seconde est que les autorités catalanes ont détourné leurs obligations constitutionnelles au profit d’un projet politique conduisant « au mépris des liens et des sentiments de solidarité qui unissent et uniront l’ensemble des Espagnols » et à la « fracture de la société catalane ».

Le roi n’a pas tremblé au moment de désigner les responsables de cette situation : les autorités catalanes, autrement dit le président Puigdemont et son gouvernement, la présidente du Parlement de Catalogne, Carme Forcadell et l’abus de majorité qui s’y est produit les 6 et 7 septembre.

Pourquoi cette intervention si sévère marque-t-elle un avant et un après dans la crise qui est appelée à durer ?

Le roi, contrairement à une analyse trop rapide, n’a pas apporté son soutien à une stratégie gouvernementale. Dans son allocution, le mot gouvernement n’est pas prononcé. Il parle de l’Etat espagnol et des pouvoirs de l’Etat constitutionnel. Philippe VI parle en tant que monarque garant des institutions et de l’unité de l’Espagne. Sa mission est donc de voir loin… par-delà des échéances électorales dans les calculs desquelles il n’entre pas. En fait Philippe VI a recentré le débat catalan.

Confiscation de la parole politique

L’indépendance obéit-elle à un projet économique, financier, culturel voire même social ? Nullement. La meilleure preuve est l’absence complète de projet précis concernant l’avenir de cette hypothétique « République catalane ». Les partis nationalistes et indépendantistes au pouvoir à Barcelone tentent d’imposer leur vision de la Catalogne à l’ensemble de la société catalane.

La fermeté du roi tient à ce désir de restaurer les assises démocratiques en Catalogne face à une véritable opération de confiscation de la parole politique au profit d’un projet d’uniformisation de la société catalane.

Peut-on vraiment admettre que le président Puigdemont, dont la légitimité et la légalité sortent toutes entières de la Constitution espagnole, traite l’Espagne « d’Etat fasciste » et les forces de sécurité de « forces d’occupation » ? Peut-on admettre une politique unilatérale qui ignore les droits de l’opposition, des minorités et peut-être de la majorité ?

En effet la validité du projet indépendantiste implique-t-elle la disqualification de toutes les autres options politiques ? Est-il envisageable dans une Europe démocratique et libérale qu’un projet national, fondé sur l’exclusion et une forme d’idéal suprématiste, soit imposé hors de toute légalité ?

Ennemi imaginaire

Le nationalisme catalan s’est enivré d’une construction nationale qui a fait de l’Espagne un ennemi imaginaire. Imaginaire en effet parce que toutes les affirmations contre l’Espagne et l’histoire sont déformées et manipulées. La politique des indépendantistes suit le schéma basique du [philosophe et juriste allemand] Carl Schmitt (1888-1985) : il y a des amis et des ennemis. Et pas d’autre option.

Or qu’est-ce que la démocratie parlementaire et représentative sinon la construction consensuelle ou/et majoritaire à partir d’options distinctes, accompagnée du respect des minorités pour que jamais une décision ne soit irréversible. Il faut, en France et dans le reste de l’Europe, mesurer la brutalité du nationalisme indépendantiste catalan. Et c’est contre cette brutalité que Philippe VI a opposé l’Etat démocratique et constitutionnel. Ce faisant il délimite le vrai périmètre du conflit politique en cours.

Ecrivant cela, je ne veux pas cependant ignorer la base culturelle et émotionnelle sur laquelle le nationalisme indépendantiste catalan s’appuie. Elle est forte et elle est le résultat d’une histoire complexe et douloureuse. Mais on peut aussi, comme on l’a fait pour d’autres nationalismes – le nationalisme serbe, croate, hongrois, polonais, russe… –, en dénoncer le danger.

La société catalane peut-elle ajouter son nom à la liste des victimes de l’idéal d’unité homogène ? L’indépendance de la Catalogne ne préserverait pas les libertés catalanes : elle les réserverait à quelques-uns seulement. C’est contre ce risque politique majeur que s’ouvre aujourd’hui un combat politique, intellectuel et moral.

Par Benoît Pellistrandi, historien, membre correspondant de l'Académie royale d'histoire à Madrid.

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