Philosopher en temps de crise

Puisque j'ai été nourri aux mamelles de l'Etat et que j'ai le sentiment de la dette, je me sens tenu, en tant que philosophe patenté, de dire quelque chose sur cette crise du Coronavirus; des choses si possibles philosophiques et socialement utiles. Ainsi, je remplirais ma part du marché et j'édifierais sur certains points mes contemporains. Je tiens à préciser que je ne fais partie d'aucun think-tank, aucun parti politique ou coterie particulière, et ne touche de l'argent de personne pour dire ce qui suit, – hélas. Plutôt qu’un Sponville importé, privilégions un philosophe du terroir.

Alors, que peut la philosophie dans cette étrange situation que nous vivons tous? Quel est, au juste, le problème?

«Le confinement!».

Bien, bien. La chose n'est pas si difficile. Blaise Pascal peut nous être d'une précieuse utilité. Il dit: «Tout le malheur des hommes est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre». Se plaindre du confinement, c'est ne pas être sage du tout. Patientez, lorsque vous n’en ressentirez plus le désagrément, alors tout le malheur disparaîtra. N’est-ce pas simple, presque enfantin? Remercions l’Etat qui sans le savoir nous offre le moyen d’acquérir une sagesse à bas coût. «Et si cela se passe mal?» Ne vous en faites pas, ils ont en stock une armée de psychologues qui se tient prête, entre la farine, le sucre et le riz, pour vous déconfiner la pensée, l'âme et l'esprit. Ils mettront à respirer vos idées, désinfecteront vos doutes, intuberont vos tocs. «Et les compensations?» Parmelin a dit : il ne faut pas s’endormir dessus, surtout ne pas les confondre avec l’édredon. De toute façon, elles grattent et sont trop rêches pour faire quoique ce soit d’intéressant au-dessous.

Quoi encore?

«La vie, la mort et ce genre de choses!».

Epicure dit: lorsque le mort est, le vivant n'est plus, lorsque le vivant est, la mort n'est pas; et qu'il n'y a aucune raison de s'en faire. Les grandes souffrances ne durent pas, les petites s'en vont d'elles-mêmes, et à la fin nous serons tous dissous. Vous vivez, non ? Alors tout est pour le mieux. Et si vous êtes mort, que peut vous faire cette tribune? C’est ici la position la plus à jour sur le sujet. Néanmoins certains observateurs avisés affirment qu’il y aurait une âme et qu’elle durerait très longtemps, peut-être même, dans certains cas, pour l’éternité. N’est-ce pas une bonne nouvelle ? Encore une chose: n’écoutez pas les bloggeurs qui disent de la mort qu’elle est une invention des Chinois pour augmenter leurs exportations, des Mexicains pour faire la fête, ou des Américains pour vendre des armes. Retenez votre jugement, soyez patient et discipliné: l’ONU va bientôt rendre ses conclusions.

Est-ce tout?

«Et le monde après!».

D'après mes calculs philosophiques, il sera plus vieux que celui d'aujourd'hui et certaines de ses parties seront plus molles et d'autres plus dures. Le temps et l'espace demeureront intacts et les hommes agiront toujours. Les couleurs seront étendues, les sons résonneront et les pensées iront toujours aussi vites... La philosophie n'en dira pas plus, j'en suis navré. Elle pense comme Horace qu'il faut, du futur, en croire le moins possible: «carpe diem, quam minimum credula postero». «Et l’autoritarisme?». Il n’y a rien à craindre de ce côté: actuellement, on travaille sur un remède.

«Je n'en peux plus de mon conjoint!».

Ah là c'est facile, un cas d'école. Suivez l'exemple de Socrate qui disait s'être marié à Xanthippe – une célèbre chipie –  pour éprouver sa patience et devenir toujours plus sage. Il faut voir son conjoint comme un gourou, une épreuve à surmonter, une Voie vers la béatitude (plus besoin des livres de Ricard, vous ferez des économies). Après le confinement, soyez-en sûr, vous serez un nouvel homme, une nouvelle femme. Plus calme, tranquille, posé et philosophique et peut-être, cela n'est pas exclu, célibataire. Si c’est le cas, n’oubliez pas Schopenhauer: «L’homme marié porte tout le poids de l’existence, le célibataire n’en a que la moitié».

«Les journaux!».

La légèreté – si nécessaire – a déserté leurs colonnes. Le New York Times affirmait (avant la crise) que les gens qui lisaient moins les nouvelles étaient plus heureux. Mais qui pourrait s’en passer? A part Thoreau, bien peu de gens. On peut donc tirer cette conclusion: l'information vaut plus que le bonheur. Etrange paradoxe, n’est-ce pas? Mais John Stuart Mill l’a dit: mieux vaut être un humain malheureux qu’un porcelet heureux. Ergo, lire les journaux rend humains.

Ai-je épuisé les sujets? Comment le pourrais-je? Mais vous voilà édifiés sur des points cruciaux, secourus par une tradition millénaire; votre existence est déjà plus légère et plus enjouée. Si elle ne l’est pas assez, il y a bien des auteurs qui vous aideront: Montaigne et Nietzsche prit en alternance pendant un mois, ont des effets spectaculaires. Au-delà, il faut la prescription d’un philosophe; les effets peuvent être dangereux.

Martin Morend, philosophe.

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