Plus de morts sur les routes d’Europe et une réaction populiste contre la concurrence déloyale

La fatigue au volant tue déjà beaucoup trop de conducteurs, de passagers et d’autres usagers de la route. Pourtant, le Parlement européen, lors d’un vote jeudi 14 juin, pourrait autoriser le fait que les conducteurs professionnels puissent travailler plus longtemps avec moins d’heures de repos.

A l’occasion du vote sur le « paquet mobilité » de l’Union européenne (UE) – une réforme en profondeur des règles régissant le transport routier –, les députés jouent avec le feu. Ils risquent davantage de morts sur les routes d’Europe et une réaction populiste contre l’exploitation et la concurrence déloyale.

L’UE prétend construire une Europe sociale, mais les eurodéputés pensent que les chauffeurs internationaux doivent recevoir des salaires plus bas que les conducteurs nationaux. Le travail dans les transports est un travail difficile : vigilance constante, clients exigeants et longues heures de travail. Le secteur des transports arrive en deuxième position après l’agriculture pour ce qui est du nombre de personnes qui travaillent plus de 48 heures par semaine.

Un danger pour eux-mêmes et pour les autres

Or nous savons que, s’ils sont fatigués, les travailleurs des transports sont un danger pour eux-mêmes et pour les autres. La fatigue tue. Selon l’Observatoire européen de la sécurité routière, en 2015, 14 % des morts à vélo en Europe étaient le résultat de collisions avec des gros véhicules commerciaux. Ceux-ci étaient également responsables de 42 % des morts de piétons. Plus de 600 personnes, y compris des passagers et des conducteurs professionnels, sont mortes dans des accidents impliquant des autobus, des autocars ou des camions.

Les données du ministère fédéral belge de la mobilité et des transports indiquent qu’en 2016, il y a eu six accidents de camion par jour dans ce pays – soit un total de 2 055 pour l’année – et que 90 % des victimes étaient des automobilistes à proximité. L’erreur humaine est la cause principale de ces accidents.

On peut donc s’étonner du fait que les membres de la commission des transports du Parlement européen veuillent imposer des réformes pour permettre aux chauffeurs de camions, d’autobus et d’autocars de travailler plus d’heures avec moins de pauses. Ils ont voté, le 4 juin, une mesure autorisant les conducteurs d’autobus et d’autocars à travailler deux heures de plus par semaine. Pire encore, on peut s’attendre à ce que tous les conducteurs conduisent pendant trois semaines consécutives avec seulement deux périodes de repos de 24 heures. Il s’agit d’une charge de travail beaucoup plus lourde que celle actuellement permise par les normes en vigueur.

Discrimination

Les eurodéputés renverseraient même un arrêt de la Cour de justice européenne, en conséquence de quoi les conducteurs seraient amenés à passer plus de nuits à essayer de dormir dans leurs cabines exiguës sur les bords de l’autoroute. Les conducteurs peuvent déjà être forcés à dormir dans leur véhicule pendant douze nuits consécutives, avec peu d’accès à des toilettes et des cuisines. Mais ensuite, ils bénéficient d’une pause plus longue en dehors du véhicule. Les nouvelles propositions indiquent que même ces pauses plus longues peuvent être passées à dormir sur la route dans la cabine, où les conducteurs doivent souvent protéger le camion contre les voleurs.

Il s’agit d’une augmentation dangereuse et injuste de la charge de travail. Les Européens et leurs hommes politiques ne doivent pas ignorer la souffrance des travailleurs qui nous apportent les produits que nous achetons. Nous ne pouvons pas non plus accepter une augmentation de la mortalité routière comme le prix d’un marché plus libre.

Pour couronner le tout, les députés veulent également exclure les conducteurs effectuant des transports internationaux des nouvelles règles sur les travailleurs détachés. L’UE a annoncé ces règles en grande pompe, proclamant la fin de la discrimination salariale et des situations dans lesquelles les travailleurs étrangers prennent les emplois des travailleurs locaux. Mais il semble que le principe du salaire équitable – « le même salaire pour le même travail au même endroit » – ne s’applique pas aux conducteurs.

Des conducteurs piégés

En conséquence, un conducteur portugais sous contrat roumain pourrait conduire un camion de l’Italie vers les Pays-Bas et ne recevoir qu’un salaire roumain. En raison de cette liberté d’action, les conducteurs se retrouveront piégés dans des contrats à bas salaires ou contraints au chômage. Les clients penseront qu’ils achètent des services de livraison auprès de fournisseurs locaux, mais ce n’est qu’une façade pour l’utilisation de sociétés « boîtes aux lettres » qui embauchent des conducteurs sur les contrats les moins chers. Est-ce vraiment le genre de marché unique que les Européens veulent ?

Le vote au sein de la commission des transports n’est certes pas définitif. Le Parlement dans son ensemble devra encore se prononcer sur le « paquet mobilité », et les Etats membres sont divisés au Conseil européen. De nombreux dirigeants des pays plus pauvres prétendent défendre leurs travailleurs en luttant pour leur droit au travail à bas salaires ; mais à long terme, une convergence salariale significative est la seule voie vers le développement économique.

Les travailleurs des transports et leurs syndicats vont pousser le Parlement à rejeter ces propositions dans le cadre de la campagne « Fair Transport Europe ». Cependant, la dynamique va actuellement dans le sens de ceux qui sont en faveur d’une plus grande « libéralisation » du secteur – un nom de code pour légaliser l’exploitation salariale et le dumping social.

Les élections européennes approchent et l’UE est confrontée à une vague de populisme eurosceptique ; toutefois, les députés européens continuent de céder aux exigences des entreprises plutôt que de promouvoir les emplois de qualité et la sécurité des usagers de la route. Nous combattrons cette décision à courte vue jusqu’au bout, mais il est difficile de voir comment de telles politiques peuvent inspirer la foi dans un projet européen fragile.

Par Frank Moreels, président de la Fédération européenne des travailleurs des transports/ETF.

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