Plus que les scandales de pédophilie, l’interdiction d’ordination des femmes place l’Eglise catholique en décalage majeur vis-à-vis de la société

L’Eglise catholique romaine est en crise. Son audience - ou, en termes quelque peu provocateurs, sa part de marché - est en baisse principalement en Europe et en Amérique du Sud qui sont ses « marchés » principaux. Sous le prisme de l’analyse économique, elle est en effet une entreprise, ou plus exactement une organisation, qui produit des dogmes, des prescriptions comportementales et alimentaires, mais aussi des rites et des cérémonies.

Elle se distingue par sa grande longévité et, comme les autres Eglises, par des modes de commercialisation singuliers de ses produits et prestations : en effet, certaines prestations ne sont pas dispensées contre rémunération ou le sont sur la base de contributions volontaires. Le produit phare de l’église catholique romaine est la promesse d’un « paradis », la possibilité d’une vie éternelle après le décès. Elle ne se distingue guère, en cela, des autres organisations religieuses.

Les Eglises se font donc concurrence sur le marché du salut et s’appuient sur des programmes de fidélisation (tel que l’ensemble de sacrements proposés du baptême à l’extrême-onction) pour rendre leurs clientèles captives. La promesse d’un état post mortem autre que le néant rend moins intolérable la perspective de son propre trépas ainsi que celui de ses proches. Le fidèle est donc consommateur d’une forme de soin ou de médicament de l’âme.

Un risque grave de disparition

La commercialisation de ce type de promesses fut habilement optimisée à la fin du XVe siècle avec la mise en vente des indulgences, ces titres (non cessibles) permettant de réduire le temps passé au purgatoire. Cette innovation commerciale, source « d’argent facile », eut comme revers de provoquer la défiance d’une partie des consommateurs, certains allant même jusqu’à opter pour un changement de fournisseur (c’est-à-dire adhérer à une église rivale).

Cet épisode démontra que le succès commercial d’une firme religieuse est fragile : sur ce marché, les prestataires doivent proposer des produits dont les caractéristiques sont compatibles avec les valeurs que la firme prétend véhiculer. Les faits de pédophilie commis, ces dernières années, par des collaborateurs, ont ainsi provoqué une crise industrielle grave. Les dirigeants de la firme n’ont pas, dans un premier temps, condamné de façon claire ces agissements.

Il faudra maintenant de nombreux mois (ou peut-être de nombreuses années) avant que l’organisation ne retrouve une image de marque immaculée. Sur la question du mariage des prêtres et de l’ordination d’officiants de sexe féminin, l’Eglise catholique romaine semble, en revanche, demeurer en phase avec son socle de valeurs. Pourtant, ces deux postures lui font courir un risque grave de disparition.

Arc-boutée sur l’impossibilité d’ordination de femmes

En matière de mariage des prêtres, la situation est d’autant moins compréhensible que la rémunération des prêtres est déjà relativement faible : ajouter au manque à gagner du salarié le coût d’opportunité de l’interdiction de vie maritale conduit à réduire considérablement l’utilité intertemporelle de l’agent. La faiblesse de cette espérance d’utilité contribue à expliquer la considérable crise des vocations et l’accroissement des ordinations de prêtres issus de pays à bas niveau de revenus.

L’apôtre Pierre, considéré comme le fondateur de l’Eglise romaine (à défaut d’avoir réellement été son premier « évêque ») était pourtant marié (à la galiléenne Porphyrée) et la majorité des prêtres le fut aussi au moins jusqu’au XIe siècle. Des raisons patrimoniales peuvent être invoquées pour expliquer le maintien de l’interdiction du mariage des prêtres, mais l’Eglise catholique romaine perd d’importantes parts de marché (en particulier face à l’Islam et aux églises évangéliques) par manque de ministres pouvant répondre à la demande des fidèles/consommateurs.

Les obstacles théologiques au mariage des prêtres sont de nature relativement cosmétiques et il est possible d’envisager, dans un avenir proche, un assouplissement de cette interdiction. En revanche, l’Eglise catholique romaine semble arc-boutée sur l’impossibilité d’ordination de femmes. Cette règle est attachée à une interprétation radicale : le prêtre agit in persona Christi, tenant le rôle du Christ. Il se doit donc d’être à son image, homme de sexe masculin (et non être humain).

Une position difficilement tenable

De plus, les apôtres qu’il a choisis n’étaient que des hommes. Cette interprétation est guidée par la survivance de la conviction de l’impureté, par essence, des femmes. Est-il utile de rappeler que l’Eglise catholique romaine a mis en place le dogme de l’Immaculée conception pour couper court à toute contradiction relative à la possibilité qu’un individu de substance divine soit née d’une génitrice elle-même issue d’une conception frappée au sceau de l’impureté ?

A l’heure de la lutte tous azimuts contre les discriminations faites aux femmes, cette position théologique (que l’on pourrait qualifier de « testostéronale ») semble difficilement tenable. Plus que les scandales de pédophilie ou le célibat des prêtres, l’interdiction d’ordination des femmes place l’Eglise catholique romaine en décalage majeur vis-à-vis de la société. Pour les organisations commerciales traditionnelles, un tel décalage est immanquablement mortel.

Pour les organisations religieuses, les ressorts de la demande des consommateurs sont différents (le caractère immuable d’une interprétation est susceptible de conforter les fidèles les plus radicaux dans leur conviction) mais il ne fait aucun doute que l’institution est susceptible de se couper durablement d’un grand nombre de consommateurs ordinaires. Dans sa volonté de ne pas céder aux modes et phénomènes éphémères, l’Eglise catholique romaine semble confondre la négation du genre et la lutte contre les discriminations entre les hommes et les femmes.

S’il semble rationnel de supposer que la négation du genre est un phénomène conjoncturel, parier sur le caractère éphémère de la marche vers une plus grande égalité entre les hommes et les femmes paraît suicidaire. La misogynie qui suinte dans les missives pauliniennes pourrait, à long terme, entraîner la perte de la religion que l’homme de Tarse a façonnée.

Jean-Pascal Gayant, Professeur des Universités à Le Mans université et chercheur au Centre de recherche en économie et management (CREM) université de Rennes 1.

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