Pneumonie: première tueuse d’enfants au monde mais maladie oubliée

De quoi les enfants de moins de 5 ans meurent-ils le plus au monde? Essayez de poser cette question aux membres de votre entourage, et vous obtiendrez probablement les réponses suivantes: accidents de la route, violence parentale, bombardements, migrations forcées, sida ou encore malnutrition. Rien de surprenant à cela: la photo du petit Aylan noyé et naufragé sur une plage turque, celle d’une fillette yéménite décharnée en raison de la famine, ou encore la terrible fin du petit Bastien enfermé par ses parents dans une machine à laver, ont chacune, et à juste titre, bouleversé l’opinion publique. Elles sont chacune la puissante illustration d’un fléau global contre lequel nous devons nous mobiliser. Ces réponses n’en sont pas moins fausses, en revanche. Car la première cause de mortalité infantile au monde est une maladie, si commune et pourtant si insoupçonnée: la pneumonie.

Fausses idées reçues

Selon les données de l’OMS, au cours de la seule année 2015, près d’un million (920 000) d’enfants de moins de cinq ans ont succombé à la pneumonie, un chiffre en léger recul depuis plusieurs années mais qui reste largement en tête de ce podium aux allures macabres. Les morts d’enfants causées par la pneumonie sont supérieures à celles dues à la malaria, la diarrhée et la rougeole (d’autres maladies infectieuses mortelles pour des centaines de milliers d’enfants) prises ensemble. Cela correspond à 2 500 morts par jour à travers le monde. Cette donnée remet en cause de nombreuses idées reçues sur cette maladie: la pneumonie serait avant tout une maladie de personnes âgées, qui sont plus vulnérables aux virus qui passent; la pneumonie serait essentiellement une maladie nosocomiale, c’est-à-dire acquise en milieu hospitalier, par les personnes au système immunitaire compromis par une maladie plus grave, comme le cancer; la pneumonie serait surtout une maladie de pays froids, puisque c’est en hiver que nous sommes les plus exposés aux infections respiratoires. Mais ce que la pneumonie nous évoque, en France ou dans d’autres pays riches au climat tempéré, ne correspond pas à la réalité globale de la maladie. Car c’est en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud, autrement dit dans des pays au climat chaud, tropical, équatorial ou aride que l’immense majorité de ces enfants périssent: 180 000 enfants morts en Inde, 130 000 au Nigeria, 64 000 au Pakistan ou encore 46 000 en république démocratique du Congo pour la seule année 2015.

Ce tragique bilan est d’autant plus insupportable que l’immense majorité de ces décès est parfaitement évitable. Un simple traitement antibiotique est suffisant dans la plupart des cas, puisque les cas de pneumonie les plus létaux pour les jeunes enfants sont généralement bactériens. Pour les cas les plus sévères souffrant d’hypoxémie, quelques heures d’oxygénothérapie en complément du traitement antibiotique réduisent considérablement les risques de décès. De nombreux gestes préventifs existent également pour réduire l’exposition des enfants vulnérables à la pneumonie: l’allaitement maternel exclusif jusqu’à six mois, une bonne nutrition, le lavage systématique des mains dans l’entourage immédiat de l’enfant.

Mieux encore, il existe des vaccins spécifiques contre la pneumonie: les vaccins contre le pneumocoque et contre le Hæmophilus (Hib), que l’on connaît bien pour les avoir introduits dans les programmes de vaccination en France et partout ailleurs dans le monde ces dernières années, sont très efficaces contre les agents bactériens les plus mortels. En cela, la pneumonie est la «maladie des pauvres» par excellence, car les enfants qui meurent de cette infection sont aussi ceux qui ne peuvent accéder aux services de santé les plus élémentaires. Selon l’Alliance mondiale du vaccin Gavi, 170 millions d’enfants au monde ne sont pas vaccinés contre la pneumonie. Non par choix, contrairement aux adeptes des mouvements antivaccination qui ont le vent en poupe depuis quelques années, mais par manque d’accès à ce service essentiel.

Un traitement peu coûteux

De plus, 52 millions d’enfants sont sévèrement mal nourris et extrêmement vulnérables face aux maladies infectieuses comme la pneumonie. Nous savons aussi qu’un traitement antibiotique ne coûte en moyenne que 30 centimes d’euro: hors de portée pour les familles les plus démunies, et pour les systèmes sanitaires des pays les plus pauvres, qui n’arrivent pas à acheminer ces médicaments essentiels aux populations dans le besoin. Un enfant né au Nigeria est 330 fois plus susceptible de mourir de la pneumonie qu’un enfant né en France ou en Grande-Bretagne. Comme m’a dit un jour un médecin pédiatre spécialiste du sujet: «Il n’y a rien de plus terrible que de voir, impuissant, un enfant lutter pour chaque respiration, et lentement suffoquer jusqu’à son dernier souffle.»

La communauté internationale doit aujourd’hui en prendre conscience: les Objectifs de développement durable (SDG) pour 2030 ne pourront être atteints si la lutte contre la mortalité infantile due à la pneumonie continue sur ce rythme. A trajectoire constante, 800 000 enfants mourront de la maladie en 2030. Une accélération spectaculaire de l’effort global contre cette infection et les ravages qu’elle cause est impérative. Elle passera par un sujet trop longtemps éludé par les responsables politiques mais central depuis longtemps pour les professionnels de la planète santé: le renforcement des systèmes de santé au bénéfice de tous, et surtout des plus pauvres. Aucun enfant ne devrait mourir de la pneumonie. Ni ici, ni ailleurs.

Samy Ahmar, directeur Santé, Save the Children.

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