Politique européenne du droit d’asile

La politique européenne du droit d’asile a révélé, ces dernières années, un grave défaut de solidarité et d’efficacité. Le système de Dublin a montré ses insuffisances : laisser au pays de première entrée dans l’Union européenne (UE) la charge d’examiner les demandes d’asile, c’est abandonner aux seuls « Etats frontières » de l’UE la responsabilité politique, administrative et opérationnelle de flux croissants de demandeurs.

A ce défaut de solidarité s’ajoute un défaut d’efficacité : les demandeurs qui auraient dû être reconduits dans le pays de leur première entrée ne l’ont été que très rarement. Ce système a aussi créé une inadmissible loterie : une même demande a des chances très variables d’aboutir selon l’Etat dans lequel elle est formulée, l’origine du demandeur, voire la date à laquelle elle est déposée. Au sein de l’Union européenne, la convention de Genève donne lieu à 27 interprétations différentes et fluctuantes !

Face à ce chaos, l’Union européenne a mis en place en 2015 un mécanisme de relocalisation des demandeurs d’asile entre Etats membres afin de soulager temporairement les plus sollicités. Dans le même temps, elle a conclu avec la Turquie un accord pour contenir les migrants qui y transitent.

L’Italie a aussi négocié avec la Libye des mesures de réduction des flux. Mais l’imposition de « quotas » a rencontré de fortes résistances au sein de l’UE, et les accords de « stockage » des demandeurs, s’ils ont permis de réduire les flux, nous ont mis en situation de dépendance face à Ankara et en délicatesse avec les obligations de la convention de Genève, puisque nous demandons à d’autres pays de bloquer sur leur territoire des demandeurs d’asile.

Aucune exception

L’Europe s’est donc à la fois désunie et dramatiquement éloignée des valeurs qui fondent son projet. L’accord de façade passé lors du Conseil européen des 28 et 29 juin n’a rien résolu sur le fond et il reste urgent de formuler une politique d’asile européenne à partir de trois priorités.

La solidarité, principe fondateur de l’Union européenne, ne doit souffrir aucune exception.

Ce principe, qui est la pierre angulaire de notre cohésion, figure en toutes lettres dans l’article 67 du traité de Lisbonne qui prévoit « une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures […] fondée sur la solidarité entre États membres ».

Cette solidarité nous impose d’apporter notre soutien aux pays bordant les frontières extérieures de l’Europe, les plus affectés par l’accroissement du nombre des demandeurs d’asile. Elle interdit aussi à tout Etat membre de l’UE de décider unilatéralement de se soustraire aux obligations communes. Etablir un lien entre l’attribution des financements européens et le respect de cette solidarité éviterait qu’elle ne devienne à géométrie variable.

La forteresse des pays tiers sûrs n’est ni conforme à nos valeurs ni efficace à long terme.

La Commission veut imposer aux Etats membres d’opérer un examen préalable des demandes d’asile et de considérer comme irrecevables celles émanant de personnes qui, avant de rejoindre notre sol, ont séjourné dans un « pays tiers sûr ». Ces demandes seraient donc rejetées avant d’avoir été instruites.

Une politique migratoire équilibrée

Plébiscitée par certains pour son efficacité alléguée, cette solution conduirait à sous-traiter le droit d’asile à la Turquie ou à des pays tampons, situés notamment sur la rive sud de la Méditerranée. Nous la croyons contraire à nos valeurs, à notre droit et à nos intérêts. L’Europe des droits de l’homme ne peut demander à des pays plus pauvres qu’elle, moyennant finances, de stocker des êtres humains, dont certains sont en droit de solliciter la protection de la convention de Genève.

Ce serait enfreindre la Charte des droits fondamentaux de l’UE, ainsi que les règles constitutionnelles de pays qui, comme la France, ont érigé l’asile en droit fondamental. Enfin, la pérennité d’accords avec ces « pays tiers sûrs » n’est même pas assurée, tant leur efficacité dépendra des structures politiques, administratives et judiciaires de l’Etat concerné.

Il est temps que l’Europe s’attache à définir une politique migratoire équilibrée

Dans les années à venir, les arrivées de migrants vont non seulement se poursuivre, mais s’accentuer du fait de crises politiques, militaires et humanitaires et des effets du changement climatique. Refuser de définir une stratégie européenne face à ces mouvements, c’est se condamner à les subir. Droit d’asile et politique migratoire doivent être pensés ensemble, comme le prévoient déjà les règles du traité, afin de préserver le premier et d’intégrer les migrations dans nos perspectives de développement.

L’indispensable solidarité entre les pays de l’Union, le danger du recours aux pays tiers sûrs et la nécessité d’une approche commune de l’UE permettant d’anticiper les flux migratoires d’aujourd’hui et de demain constituent les trois axes majeurs des propositions que l’Institut Montaigne et Terra Nova publieront conjointement à l’automne pour répondre à l’exigence d’un système européen d’asile efficace, cohérent, unifié, et imperméable aux gestions partisanes. C’est à une autre idée du rapport de l’Europe au monde que nous appelons, seule manière de désarmer les populismes et de respecter nos valeurs.

Par Thierry Pech (Directeur général de Terra Nova), Jean-François Rial et Jean-Paul Tran Thiet (Membres de l'Institut Montaigne).

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *