Politique migratoire, l’impensé du Brexit

Alors qu’un accord de sortie vient d’être trouvé in extremis, un pan entier du cadre législatif encadrant les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne s’apprête à disparaître, dans un silence coupable. Les politiques d’asile et d’immigration ayant été laissées en dehors du mandat de négociation, les règles européennes relatives à la politique d’asile, notamment le règlement Dublin, ont cessé de s’appliquer au 1er janvier. Alors que l’accès à la procédure d’asile au Royaume-Uni est déjà particulièrement difficile, les rares voies légales d’accès à son territoire pour les étrangers extracommunautaires, principalement au titre de la réunification familiale, disparaîtront, sans qu’aucune alternative n’ait pour l’instant été sérieusement envisagée.

En n’anticipant pas l’impact du Brexit sur les politiques migratoires, les dirigeants européens ont laissé le gouvernement britannique refermer un peu plus ses frontières sans en assumer les conséquences. Pourtant, le Royaume-Uni est d’ores et déjà le pays d’Europe de l’Ouest accueillant le plus faible nombre de demandeurs d’asile rapporté à l’effectif de sa population, avec seulement 5 demandes pour 10 000 habitants.

Dans ce contexte, et alors que l’on observe un durcissement de la politique migratoire britannique, on peut craindre une dégradation significative des droits des migrants et un report supplémentaire inacceptable des enjeux sur les côtes françaises.

La situation initiale est connue de tous. Depuis 2004, des accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni entérinent le transfert de la frontière franco-britannique sur les côtes françaises et conduisent la France à en assumer l’entière responsabilité et les lourdes conséquences. Cette approche singulière, qui met l’Etat français en première ligne de la gestion des flux migratoires britanniques et a alimenté la présence, sur les côtes, de migrants cherchant à rejoindre l’Angleterre, a été encore récemment confortée. La France a ainsi signé avec le Royaume-Uni, le 28 novembre dernier, un nouvel accord se traduisant pour l’essentiel par un renforcement des patrouilles de police sur ses côtes. Loin d’interroger les voies légales d’accès au Royaume-Uni, cet accord vient renforcer l’approche sécuritaire de la question migratoire et risque d’aggraver une situation déjà dramatique, au détriment des migrants mais aussi des populations locales confrontées au désordre des campements de fortune.

Nos associations, comme beaucoup d’autres, présentes depuis des années dans la région, peuvent témoigner de l’illusion coupable qui consiste à se convaincre que la répression et les contrôles conduiraient à dissuader les migrants de tenter la traversée. Malgré le démantèlement de la «jungle» en 2016 et la lutte menée par les autorités françaises pour éviter toute reconstitution de «point fixe» dans le Calaisis, les migrants continuent d’affluer sur le littoral du nord. La fermeture des voies légales d’accès au territoire britannique ne pourra que renforcer ces tentatives désespérées, offrant ainsi aux passeurs un business d’autant plus lucratif qu’il sera perçu comme l’unique solution.

Cette situation est particulièrement préoccupante pour les mineurs isolés étrangers. Il existait il y a encore peu une voie légale permettant à ces enfants de rejoindre légalement un membre de leur famille au Royaume-Uni au titre du règlement Dublin et des voies un temps négociées par le gouvernement français. La disparition, au 1er janvier, de cette possibilité va, de fait, supprimer un des rares arguments dont nous disposons aujourd’hui pour les convaincre de ne pas tenter la traversée. Il est indispensable qu’une nouvelle voie légale soit définie, permettant la reconnaissance du droit à la réunification familiale, sans quoi le nombre d’enfants prêts à risquer leur vie coûte que coûte ne pourra qu’augmenter. Il faut également retrouver l’esprit de l’amendement Dubs ayant permis à quelques centaines de mineurs isolés sans attaches familiales de rejoindre le Royaume-Uni.

Plus profondément, c’est le respect même du droit d’asile par le gouvernement britannique qui interroge aujourd’hui. Quelles possibilités sont offertes aux migrants traversant la France dans le seul espoir de déposer une demande d’asile outre-Manche ? L’insularité ne saurait être un prétexte à l’exclusion et au non-respect des droits fondamentaux des êtres humains, qui engagent également le Royaume-Uni. La situation actuelle, comme celle qui se profile à l’aune du Brexit, est profondément insatisfaisante. Pour tenter d’apporter une solution durable à la crise que nous connaissons depuis tant d’années, une voie d’étude des demandes d’asile vers le Royaume-Uni doit être envisagée, dans l’esprit de programmes de relocalisation.

En parallèle, l’Etat français ne peut se contenter d’une politique essentiellement consacrée à la dispersion des migrants présents dans le Calaisis et le Dunkerquois, mais doit agir davantage sur leurs conditions de vie. Pour les adultes comme pour les mineurs, les possibilités de stabilisation en France ne peuvent passer que par un accueil et un accompagnement de qualité sur le territoire français afin d’offrir de véritables perspectives d’avenir.

Les migrants ayant parcouru des milliers de kilomètres dans l’espoir ultime de retrouver leur famille ou tout simplement d’aspirer à une vie meilleure devraient pouvoir échapper à l’indignité des conditions de vie sur le littoral, à la violence et aux réseaux criminels.

Ces dernières années auront démontré que le Brexit était une gigantesque partie de bras de fer. Il est encore temps, pour le gouvernement français et ses homologues européens, de ne pas s’avouer vaincus et d’ouvrir de nouvelles discussions avec le Royaume-Uni pour le pousser à assumer, enfin, ses responsabilités.

Par Thierry Le Roy, président de France Terre d’asile; Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) et Marie-Charlotte Fabié, directrice France de Safe Passage.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *