Politiques ambitieuses d’hospitalité et d’intégration

L’élection d’Emmanuel Macron a fait naître une espérance pour la situation des réfugiés en France et en Europe : celle d’un accueil digne et enfin pleinement assumé de celles et ceux qui fuient les persécutions et les guerres.

Il y a urgence.

Partout, depuis l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie, le Soudan ou l’Erythrée, des hommes, des femmes et des enfants sont jetés sur les routes de l’exil et tentent, au péril de leur vie ou de leur intégrité physique et psychique, la traversée de certains pays transformés en enfers comme la Libye où ils subissent les pires exactions avant même d’affronter la Méditerranée.

En Grèce, en Italie, dans les rues de Nice, de Paris et de Calais, ils sont de plus en plus nombreux, attendant une réaction des pouvoirs publics. Comme tant de citoyens engagés ou simplement soucieux de la dignité de ceux qu’ils voient à l’abandon dans les campements de fortune que notre pays a déjà connus au cours des derniers mois, nous attendons, aussi, cette réponse.

Enthousiasmes et doutes

Nous savons les divisions dont les Européens se sont montrés capables au moment d’accueillir ces persécutés depuis le début de la crise de l’asile en 2014.

Nous sommes lucides sur les enthousiasmes mais aussi sur les doutes de la société française. Nous connaissons les instrumentalisations politiques de l’extrême droite qui fait des réfugiés les boucs émissaires de nos difficultés. Nous n’avons aucune illusion sur les surenchères, qui ont peu à voir avec les intérêts des réfugiés, qu’entretiennent ceux qui sont prêts à justifier toutes les confusions dont le droit d’asile est, finalement, toujours la victime.

Ce droit est un devoir, qui incombe aux Etats européens signataires de la Convention de Genève. Il est celui de notre République, héritière et creuset du droit d’asile. Il bénéficie encore dans notre pays d’un large consensus, même s’il est fragile. Il nous revient de le préserver, de le faire progresser.

Nous souhaitons aussi un débat de politique migratoire sur le devenir de celles et ceux qui fuient la misère et ne relèvent pas du droit d’asile. Mais cela doit être strictement dissocié de l’accueil de celles et ceux qui relèvent du droit d’asile, qui demeure une ardente et urgente obligation.

Développer les voies d’accès légales

Le moment est venu, face à l’urgence, d’assumer pleinement ce devoir d’accueil des réfugiés, de le mettre en œuvre dans la durée, avec générosité, dans le strict respect du droit d’asile et avec méthode.

L’Europe de l’asile doit maintenant franchir un cap décisif. Il faut développer les voies d’accès légales pour les réfugiés depuis les pays où transitent les réfugiés, comme la Turquie et le Liban. Les « hotspots » doivent enfin répondre à leur vocation en devenant des lieux dignes d’accueil des demandeurs d’asile aux frontières extérieures de l’Union.

En Grèce comme en Italie, ces Etats membres et l’Union doivent enfin s’y donner les moyens d’un examen de la demande d’asile puis de l’accueil dans l’ensemble de l’Europe de celles et ceux qui y seront reconnus réfugiés en application des critères du droit.

C’est aussi là que doit s’exercer, sans amalgame ni naïveté, l’essentiel des contrôles contre les risques d’infiltration terroriste. Car si les demandeurs d’asile sont les victimes des terroristes comme de la barbarie de certains régimes, l’Europe a fait l’expérience des tentatives d’utilisation de l’asile par les terroristes.

Dignité et solidarité

L’Europe doit maintenant garantir la pleine harmonisation de l’exercice du droit d’asile sous l’égide d’une Agence européenne de l’asile pleinement indépendante. Les Européens ne doivent pas installer des limitations à l’accès à la demande d’asile en excluant des demandeurs d’asile qui seraient passés par des pays tiers prétendument « sûrs ».

Il y également urgence à refondre les règles de Dublin qui fixent la compétence des Etats membres pour l’instruction des demandes d’asile sur notre continent. Nous ne contestons pas que les personnes qui ont fait l’objet d’une décision de rejet de leur demande d’asile en Allemagne ou en Suède y soient réadmises, dès lors que toutes les garanties sont apportées sur d’éventuels retours dans les pays d’origine.

En revanche nous ne pouvons pas accepter que des demandeurs d’asile venus du Soudan ou d’Erythrée soient aujourd’hui empêchés de demander l’asile en France, plongés dans de nouvelles angoisses sur leur avenir, au motif qu’ils ont été contraints de donner leurs empreintes à leur arrivée au Sud de l’Europe.

Ce sont d’autres règles, fondées sur la dignité et la solidarité, qui doivent d’urgence être renégociées entre Européens.

30 000 réfugiés d’ici à la fin 2017

C’est dans cet espace européen harmonisé, généreux et organisé autour du strict respect du droit d’asile, que la France doit assumer enfin pleinement une politique de l’accueil des réfugiés.

Nous devons avant toutes choses remplir d’ici à la fin 2017 notre engagement à avoir accueilli 30 000 réfugiés, pour l’essentiel Syriens, Irakiens et Erythréens, dans un cadre européen.

Mais il nous faudra aller plus loin, répondre à l’urgence sur le territoire national et structurer une politique d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés dans notre pays qui conjugue l’action des pouvoirs publics et la richesse des initiatives citoyennes qui s’expriment souvent dans un cadre associatif.

Chacun voit bien ce qui est conforme à la dignité humaine et ce qui ne l’est pas, ce qui marche et ce qui ne marche pas.

Une prise en charge rapide

Ce qui est indigne et qui ne marche pas, c’est de laisser à l’abandon dans les rues de Nice, de Paris ou de Calais des hommes et des familles en espérant que cela en dissuadera d’autres de les rejoindre et de laisser les habitants et les associations livrées à elles-mêmes ou au harcèlement de la police – avec de terribles airs de déjà-vu.

Ce qui marche, c’est la prise en charge rapide de tous les demandeurs d’asile pour leur hébergement, par la mise en place de centres de transit et de structures d’hébergement sur l’ensemble du territoire sur le modèle de l’accueil réussi par l’Etat, les élus, les associations et les citoyens des migrants de Calais en 2015 et 2016.

Les règles de la Convention de Genève qui régissent l’accueil des réfugiés sont claires : toute personne a le droit de demander l’asile dans notre pays, quelles que soient les modalités de son arrivée sur notre sol. Nous demandons au gouvernement, comme première mesure d’urgence, de mettre en place à Calais comme à La Roya des bus qui conduiront les demandeurs d’asile vers des lieux, à Lille, à Nice ou ailleurs, où ils pourront être hébergés et demander l’asile.

Ce qui marche et ce qui est digne, c’est lorsque les autorités compétentes prennent rapidement des décisions sur les demandes d’asile et que les conséquences en sont rapidement tirées.

Au cœur du devenir de notre propre humanité

Ce qui marche et ce qui est digne, ce sont des politiques ambitieuses d’hospitalité et d’intégration – à l’exemple de la mobilisation exemplaire des pouvoirs publics et de la société allemande – de celles et ceux qui sont reconnus réfugiés, par l’apprentissage rapide du français, la formation professionnelle, le logement, le partage des valeurs républicaines.

Il incombe à l’Etat – mais aussi aux conseils départementaux pour la prise en charge des mineurs isolés – de faire vivre cet accueil. Il doit aussi prendre pleinement en compte les enthousiasmes qui s’expriment partout dans notre pays pour faire vivre l’hospitalité envers les réfugiés.

L’accueil des réfugiés est une question de survie pour ces hommes, ces femmes et ces enfants persécutés. Il est aussi au cœur du devenir de notre propre humanité, de notre citoyenneté, une citoyenneté européenne fondée sur un engagement qui met le respect la dignité humaine au-dessus de tout, en partage entre l’Etat et l’intervention citoyenne.

Pour elles, pour eux, et en réalité aussi pour nous-mêmes, il y a maintenant urgence à faire vivre cette hospitalité pour les réfugiés.

Par Daniel Cohn-Bendit (Ancien député européen EELV) et Romain Goupil (Réalisateur).

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