Pollution équitable

S’il est au moins un point partagé par l’ensemble des participants à la conférence de Copenhague, c’est qu’il reste peu de doute et peu de temps : le réchauffement climatique est bien dû à l’activité humaine, et des actions urgentes sont nécessaires pour réduire radicalement les émissions de CO2. Après des années de déni, même les Etats-Unis se sont rangés à ce constat désormais unanime. Copenhague sera donc, de ce point de vue, un moment unique dans l’histoire humaine : celui où toutes les nations reconnaissent qu’elles doivent agir de concert pour préserver l’avenir de l’humanité.

Hélas, cette unanimité sur le constat s’effondrera dès qu’il faudra s’entendre sur la manière d’y parvenir. Deux points seront âprement débattus : d’abord, les politiques doivent-elles reposer sur une taxation des activités émettrices de CO2 ou sur des mécanismes de «cap-and-trade» selon lesquels c’est le volume total des émissions qui est décidé collectivement, un marché permettant ensuite d’échanger les droits à polluer ? Dans les deux cas, il s’agit de mettre un prix sur une activité jusqu’alors gratuite et d’appliquer le principe pollueur-payeur. Cette exigence n’a rien d’un impératif moral, c’est un souci d’efficience : que chacun intègre dans ses décisions quotidiennes l’ensemble des coûts et des bénéfices pour la société. A l’échelle d’un pays souverain, les taxes ont un grand avantage : elles donnent une valeur stable dans le temps, un prix lisible, qui facilite notamment le calcul de rentabilité d’investissements lourds dans les technologies dépolluantes. Mais elles souffrent de deux handicaps : d’une part, sujettes à des pressions politiques pour en réduire le niveau, elles peuvent également être victimes d’une concurrence fiscale entre pays, le montant de la taxe carbone dans la loi de finances 2010 (17 euros par tonne de CO2) en témoigne suffisamment. D’autre part, il est difficile de prévoir, en fixant le niveau de la taxe, quel sera le volume total des activités polluantes.

Or, c’est surtout sur ce volume qu’il faut s’entendre, ce que permet la fixation d’un quota ou, selon Kyoto, de «droits d’émissions» sur lesquels chaque pays s’engage. Ceux qui décident ensuite de rendre ces droits échangeables sont confrontés à une difficulté : ils se résignent à ce que le prix du droit à polluer, déterminé par le marché, fluctue fortement et fasse l’objet de spéculations. Et dans tous les cas, chaque pays doit préciser comment les droits sont initialement répartis entre les différents membres de la société, avant qu’ils puissent éventuellement faire l’objet d’échanges.

C’est également la difficulté principale de toute coordination internationale : comment répartir les droits à polluer ? Le problème est que l’atmosphère non polluée a longtemps été comme un territoire vierge de tout droit de propriété, régi par nulle loi. Durant leur développement économique, les pays actuellement riches ont fait main basse sur cette ressource alors gratuite mais dont on s’aperçoit désormais qu’elle est rare et donc qu’elle devrait être chère… Pour éviter une catastrophe planétaire, il conviendrait de réduire «à terme» de 80% les émissions polluantes par rapport à leur niveau actuel. Prendre le niveau actuel des émissions, pays par pays, comme point de référence dans la répartition internationale des efforts, revient à entériner et surtout pérenniser le hold up des pays riches sur la planète : comme le rappellent Roger Guesnerie et Thomas Sterner dans deux tribunes simultanées (le Monde, Financial Times), un citoyen des Etats-Unis émet actuellement 6 tonnes de carbone par an, contre 300 kg pour un citoyen de l’Inde. Même si, dans cinquante ans, chacun a réduit sa consommation de 80%, le premier continuera à émettre 20 fois plus que le second, et encore deux fois plus qu’un Indien d’aujourd’hui… Au contraire, les deux auteurs recommandent de répartir les droits de manière égalitaire : que chaque citoyen du monde se voie reconnaître le droit d’émettre 250 kg de carbone, et que chaque pays se voie attribuer un quota à raison de sa population. L’application immédiate d’un tel critère est inacceptable par les Etats-Unis, premier pays pollueur per capita ? Qu’à cela ne tienne : si l’on ne peut s’entendre sur le court terme, retenons que cette règle de justice devra être appliquée à un horizon plus lointain, en 2050. La portée symbolique d’un tel accord serait considérable. Si simple, si juste, et si simplement juste, ce principe d’application lointaine serait par là même difficile à remettre en cause : un homme, un droit !

Pierre-Yves Geoffard, chercheur au CNRS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris.