Populistes au pouvoir: l’Italie «innove» à nouveau

Murales réalisé par l'artiste Salvatore Benintende au lendemain des élections, peint sur un mur à Rome, montrant Matteo Salvini, le leader de la Lega Nord (droite) embrassant Luigi Di Maio, chef de file du M5S … © REMO CASILLI/Reuters
Murales réalisé par l'artiste Salvatore Benintende au lendemain des élections, peint sur un mur à Rome, montrant Matteo Salvini, le leader de la Lega Nord (droite) embrassant Luigi Di Maio, chef de file du M5S … © REMO CASILLI/Reuters

Suite au résultat des élections du 4 mars 2018, l’Italie sera, avec une forte probabilité, le seul pays au monde gouverné non pas par un seul parti populiste, mais par deux partis politiques populistes, radicaux et anti-système: Le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue du Nord. Le premier est un mouvement, comme son nom l’indique, puisque être un parti serait contraire à son esprit; toutefois, le Mouvement 5 étoiles est, de facto, en train de devenir un parti, comme cela fut le cas pour les fascistes de Mussolini au début des années 1920.

Le deuxième grand gagnant est un parti raciste, xénophobe, qui cultive un nationalisme hors du temps plébiscité par 17% des électeurs italiens. Matteo Salvini, le leader de la Lega Nord, admire Marine Le Pen et Vladimir Poutine. En France, son parti serait considéré comme d’extrême droite, mais pas dans la Péninsule, où cette étiquette est réservée aux fascistes et post-fascistes déclarés. Le parti de Berlusconi, Forza Italia, et le parti Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), constitué par des ex-fascistes, réunissent avec le M5S 70% des électeurs.

La démocratie italienne est malade

Giuseppe Conte, un professeur de droit, a été chargé le 23 mai de former le gouvernement de la troisième économie de l’Union européenne. Ce gouvernement n’est pas encore formé que déjà de nombreux doutes s’expriment sur M. Conte. Aura-t-il la force nécessaire pour servir le pays ou sa faiblesse ne servira-t-elle qu’à cimenter une alliance entre deux forces politiques que tout oppose? Certains comparent l’Italie à la Hongrie ou à l’Autriche; ils se posent une question simple: comment ces deux mouvements/partis populistes et leurs leaders pourront-ils gouverner de manière responsable une administration qu’ils ont si âprement contestée durant des années?

Le fait que l’Italie est restée sans gouvernement depuis trois mois n’est pas en soi exceptionnel. Ce fut le cas en Belgique et en Espagne récemment. L’inquiétude est ailleurs. L’Italie est un pays en perte de vitesse démographique mais qui veut fermer ses portes aux migrants. Un pays qui vieillit à un rythme plus élevé que les autres nations européennes, mais où les réformes de la santé et des retraites restent une chimère. L’économie italienne est en difficulté. La Péninsule a perdu son leadership industriel; les chercheurs quittent le pays car le soutien à la recherche est insuffisant. Cette liste n’est pas exhaustive, mais le problème principal est que la démocratie italienne est profondément et gravement malade. Sa maladie ne signifie pas nécessairement une mort inéluctable, mais son rétablissement paraît bien compliqué.

Certes, dans un pays où la gauche post-communiste passe son temps à se tirer dessus, où Silvio Berlusconi continue d’être apprécié pour ses «talents» d’homme d’Etat, il n’est guère surprenant que la démocratie, système politique intrinsèquement fragile, tombe malade. Il manque l’amour et le respect pour la res publica. Il manque également le respect pour la chose politique. Depuis Mani Pulite («Mains Propres» est le nom donné aux procès des hommes politiques de la Première République, 1946-1991, au début des années 1990) le mot «politique» a eu une connotation négative. «Politique» est encore synonyme de corruption. Ni les années Berlusconi ni l’éphémère ère Renzi (Matteo Renzi fut premier ministre entre 2014 et 2016) n’ont permis aux Italiens de tourner la page.

L’histoire ne se répète pas

Pendant des décennies, l’Etat italien n’a pas su protéger, valoriser et inculquer le respect des valeurs démocratiques et républicaines; la banalisation de la paix depuis 1945; le manque d’attention au bien-être tangible quoique relatif au nord comme au sud de la Péninsule n’ont fait qu’empirer l’état de santé de la République italienne. Cela explique en partie la dérive populiste. Le populisme du M5S a des origines communes à celui de la Ligue du Nord: il se fonde sur le ras-le-bol des Italiens envers une classe politique à laquelle ils ne font plus confiance. La nature populiste du M5S réside dans un discours démagogique qui lui permet d’être confortablement assis à l’extrême gauche comme à l’extrême droite du parlement. En ce sens les «5 Etoiles» n’auraient aucune peine à reprendre les mots de Mussolini: le fascisme n’est ni de gauche ni de droite.

Matteo Salvini, quant à lui, malgré son ton sécuritaire et la violence de ses discours, aurait eu beaucoup de peine à gravir les échelons du parti fasciste. L’histoire ne se répète pas. Le populisme aujourd’hui ne suivra pas la voie des mouvements d’extrême droite d’il y a un siècle. Ces mouvements et partis anti-système, racistes et xénophobes, confus sur l’euro et sur l’Europe, ayant des visions politiques instables et contradictoires, sans expérience dans l’administration de la res publica, arrivent au pouvoir et s’apprêtent à gouverner, après un vote, certes, mais sans avoir marché sur Rome. L’Italie innove encore une fois: à Rome le mariage de la carpe et du lapin est possible.

Davide Rodogno, professeur d'histoire à l'Institut de hautes études internationales et du développement.

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