Pour distribuer le vaccin anti-COVID il faut une approche innovante et globale comme le COVAX

Pour distribuer le vaccin anti-COVID

La très large distribution des vaccins contre le virus SARS-CoV2 dans tous les pays est un enjeu mondial pour lutter contre la pandémie COVID-19. Depuis quelques semaines, un lobbying important d’ONG promeuvent l’idée d’une demande de dérogation temporaire de l’accord sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC) pour les produits de lutte contre le Covid-19 (1, 2 et d’autres interventions dans les médias suisses). Ces ONG font ainsi pression sur le Conseil Fédéral afin qu’il soutienne une dérogation temporaire de l’ADPIC déposée par l’Inde et l’Afrique du Sud. Bien que l’approche soit séduisante et utilisée dans le passé pour lutter contre le SIDA, cette proposition n’est ni réaliste ni productive voir même non nécessaire pour assurer une distribution sans précédent des futurs vaccins anti-COVID-19 !

L’exemption des droits de propriétés intellectuelles pour les produits pharmaceutiques (ADPIC) contre le SIDA pour les pays les moins avancés a été prolongée jusqu’en janvier 2033. Dans le cadre de l’OMC, des approches similaires ont été mises en œuvre pour lutter contre la tuberculose et le paludisme.  En pratique, il s’agit pour les pays en développement de pouvoir fabriquer des médicaments génériques ou d’en importer. Ce mécanisme commercial approuvé internationalement est particulièrement bien adapté pour des médicaments oraux simples à fabriquer comme le fameux azidothymidine (AZT ou zidovudine/ZDV). C’est un tel mécanisme par dérogation temporaire des droits de propriété intellectuelle qui est promu par les ONG suisses pour lutter contre l’épidémie COVID-19.

Pour la leishmaniose viscérale, une autre maladie infectieuse touchant principalement les pays tropicaux, la distribution du traitement de référence dans les pays les moins avancés a été assurée par un autre mécanisme. L’AmBisome est un médicament de grande valeur thérapeutique contre la leishmaniose et des infections graves lors de traitement de leucémies. L’AmBisome est distribué à prix coutant par son unique fabriquant (Gilead) dans les pays les moins avancés (un accord de 2007 prévoit un prix maximal de 20 dollars par traitement). Pour l’AmBisome, un système de prix et de distribution contrôlée a été préféré à ceux de génériques produits par les pays en voie de développement. Sans connaître le détail des discussions d’alors, la production du médicament AmBisome demande une technologie avancée au contraire de celles pour fabriquer des génériques comme l’AZT. En effet,le médicament AmBisome est difficile à fabriquer avec semble-t-il une seule ligne de production au monde en Californie. Le médicament AmBisome est composé d’un principe actif l’amphotericin B qui est hors brevet et d’une formulation de liposomes particuliers. Il existe bien des génériques d’Amphotericin B sous forme liposomale mais leurs profils thérapeutiques ne sont pas aussi bons. On le voit, une dérogation des droits de propriété intellectuelle n’était pas applicable au cas de l’AmBisome comme traitement de la maladie tropicale leishmaniose et un autre mécanisme de distribution fut trouvé en collaboration avec Gilead, un groupe majeur pharmaceutique.

Revenons à la question: quels mécanismes faut-il appliquer pour assurer une distribution large et équitable des tout nouveaux traitements et vaccins contre la pandémie du COVID-19 ? Les vaccins sont à raison le centre des attentions politiques, médiatiques et publiques. Comment sont-ils développés et fabriqués ?

Les vaccins proches de l’approbation par Pfizer/BioNTech, Moderna, AstraZeneca/Oxford et les autres sont basés sur la biologie moléculaire avec des ARN messagers (ARNm) pour les deux premiers ou des protéines recombinantes pour les autres. De plus, il y a des “emballages” ou formulation complexes pour certains vaccins avec une formulation liposomale pour le vaccin de Pfizer/BioNTech. Ces technologies d’ARNm extrêmement innovantes sont dérivées de nouvelles approches pour les traitements contre le cancer. La production de protéines pour les vaccins sera aussi un challenge important vu la quantité à produire mondialement ! De toute manière, la complexité de l’innovation technologique, de sa mise au point et de la production des vaccins anti-COVID sont encore multipliées ici par la rapidité du développement et par l’ampleur du nombre de doses à fabriquer. Le soutien publique de nombreux pays et les larges moyens mis en œuvre par les entreprises pharmaceutiques permet de soumettre des autorisations de mise sur le marché en fin d’année 2020 et en 2021. L’industrie annonce des prix de fabrication et de vaccin à prix coutant ou avec des marges réduites (3).

La technologie et la fabrication des nouveaux vaccins anti-COVID est certes complexe mais est-ce qu’une dérogation de la propriété intellectuelle serait tout de même applicable ? A l’évidence, la complexité de production vaccins basés sur l’ARNm est bien plus proche de celle de l’AmBisome que celle de l’AZT. Il est difficile d’imaginer de pouvoir effectuer des transferts de technologies si complexes dans de multiples usines dans le monde. Pour les vaccins à base de protéine, un transfert de technologie serait difficile aussi et le contexte légal d’autorisation de mise sur le marché ressemblerait à celui des “biosimilaires” où les autorisations demandent usuellement de nouvelles études cliniques. Les coûts de ces études cliniques s’ajouteraient à ceux d’éventuels investissements dans des usines de biotechnologie. Le tout aboutirait à une perte de temps précieux sans compter les coûts élevés. Il faut le dire clairement pour des raisons technique une dérogation de propriété intellectuelle pour largement distribuer des vaccins anti-COVID n’est pas applicable !

Mais comment assurer une distribution équitable mondialement des vaccins anti-COVID ? La complexité et l’ampleur du défi avec de nombreux milliards de doses à fabriquer, distribuer et administrer demande des solutions à la hauteur et autres qu’un accord de prix comme pour l’AmbiSome. Pour cette tâche d’une ampleur inédite, il faut assurer la fabrication, la répartition, la distribution puis l’administration dans un effort international. Ce mécanisme international est en train d’être mis en place. Il s’agit de l’effort GAVI COVAX basé à Genève qui est le seul fond mondial de solidarité contre le COVID-19 (4). Il comprend 186 entités partagés en deux groupes: un premier groupe de 92 pays/économies à bas revenus qui utiliseront des fonds pour acheter les doses vaccinales et un deuxième groupe de participants à haut revenus qui financeront l’effort . Le financement est clé et l’objectif d’arriver à obtenir 2 milliards de dollars en fin 2020 et 5 milliards de dollars en 2021 et ainsi d’arriver à vacciner 20% de la population des pays à bas revenus avec priorité au personnel soignant, les personnes à risque et les personnes âgées. Cette stratégie initiale de vaccination sera donc très similaire dans les pays à faibles ou hauts revenus. L’effort COVAX bénéficie d’un soutien large y compris de la Suisse mais il y a un absent important, les Etats-Unis.

Recourir à des recettes éprouvées pour des médicaments simples  n’est pas applicable pour distribuer globalement les nouveaux vaccins anti-COVID-19. Il est donc très étonnant de voir le lobbysme de certaines ONG en Suisse prôner une exemption des droits intellectuels pour lutter contre le COVID-19 au vu des impossibilités techniques expliquées plus haut et de l’effort prometteur du COVAX. Ces ONG seraient mieux avisées de demander au Conseil Fédéral d’augmenter la contribution suisse au COVAX.

Luc Otten est médecin et biologiste. Après 15 années de recherche académique, il a travaillé comme analyste financier puis comme venture capitaliste dans le domaine des sciences de la vie. Maintenant, il travaille dans le monde des start-ups en biotechnologie.


(1) “Covid-19: pas de monopoles durant la pandémie” dans la rubrique opinion, Le Temps, 12 novembre 2020
(2) “Qui pourra se payer un vaccin contre le covid à 40 francs?“, Le Temps, 17 novembre 2020
(3) “Covid-19: la science et la collaboration finiront par gagner“, Le Temps, 23 novembre 2020
(4) GAVI COVAX https://www.gavi.org/

Image by Miroslava Chrienova from Pixabay

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