Pour en finir avec la guerre contre les drogues

Le système international de contrôle des drogues est un cas d’étude dans le multilatéralisme: depuis la création du système mondial à la sortie de la Seconde guerre mondiale et jusqu’au début des années 2010, la communauté internationale a partagé une position commune, même durant la guerre froide: celle de l’éradication de l’usage récréatif des drogues. Ce consensus sur l’efficacité de la prohibition comme paradigme de contrôle des drogues s’est brisé ces dernières années face à ses propres échecs.

En effet, la production, l’usage et la consommation des substances illégales traditionnelles sont en constante augmentation. Le marché des drogues connaît des bouleversements avec l’arrivée des nouvelles substances synthétiques et du trafic sur le dark web auxquels le système actuel paraît incapable de répondre. Enfin, la répression a provoqué de nombreux préjudices en plus de ceux à l’usage des drogues.

Ces préjudices, bien identifiés depuis une décennie mais toujours décrits à tort comme des «conséquences imprévues», comprennent aussi bien des épidémies sanitaires et des violations des droits humains que l’existence même du marché illégal des drogues, qui pèse environ 500 milliards de dollars par an. Ces préjudices appellent une approche transversale, prenant en compte la santé publique, le développement socio-économique, ainsi que les droits humains. Ce sont là des sujets de développement durable, débattus politiquement au sein de la Genève internationale.

Fin du consensus sur la prohibition

La fin du consensus sur la prohibition entre les pays membres de l’ONU se reflète sur les mandats des assemblées et des agences onusiennes. Actuellement, le contrôle des drogues est débattu au sein de la Commission des stupéfiants (CND), basée à Vienne, du seul point de vue de la répression et de la riposte au crime avec trois objectifs: réduire l’offre, réduire la demande et combattre le trafic illégal. Ainsi, les répercussions des politiques répressives sur le bien-être des populations sont laissées de côté.

De surcroît, des agences comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation internationale pour la migration (OIM), le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) ou l’Onusida ne peuvent mettre en œuvre la totalité de leurs stratégies déjà complexes, tant que le système de criminalisation de l’usage personnel des stupéfiants actuel est maintenu. Si leurs publics cibles vivent dans la crainte de la punition ou sont arrêtés pour usage de drogues, tout un pan de la population ne peut plus être atteint, les épidémies restent cachées, et les droits fondamentaux sont bafoués sans possibilité de recours.

Comment, en effet, enrayer l’épidémie galopante de VIH en Russie lorsque les personnes qui s’injectent des drogues n’ont pas accès à du matériel stérile ou à d’autres services et traitements efficaces? Comment répondre à la crise des overdoses aux Etats-Unis sans la lier aux déficits du système de santé? Comment lutter contre les exécutions sommaires ou les arrestations arbitraires qui ont lieu aux Philippines ou au Bangladesh alors que les drogues sont présentées comme «diaboliques» par les conventions internationales? Comment, enfin, protéger des populations déjà fragiles, comme les migrants, d’une répression accrue à cause de la présence de drogues dans les camps de rétention?

Dialogue entre Vienne et Genève

C’est pourquoi il est urgent que les politiques publiques de contrôle des drogues se discutent entre les organisations internationales viennoises et la Genève Internationale. La Commission globale de politique en matière de drogues a lancé, avec les pays hôtes, Suisse et Autriche, et le Mexique, un débat entre les agences onusiennes des deux villes, en organisant le premier dialogue de coopération entre les agences viennoises et genevoises sur les drogues en mai 2018 au Palais des Nations. Un dialogue similaire doit avoir lieu à Vienne en 2019.

La somme de ces efforts pour rapprocher les mandats des deux villes doit maintenant s’officialiser, par la mise en place d’un groupe de travail sous la houlette des directeurs généraux de l’ONU des deux villes, afin d’harmoniser la riposte aux drogues au niveau international. Certes, d’autres populations que les consommateurs de drogues sont affectées par ces confrontations entre mandats onusiens – les travailleurs du sexe, les prisonniers, les personnes transgenres – et ne peuvent toutes bénéficier de tels mécanismes. Toutefois, seuls les consommateurs de drogues tombent spécifiquement sous la coupe de conventions internationales contraignantes qui pénalisent leurs actes.

Les mandats des diverses agences étant aujourd’hui trop entrecroisés, la communauté internationale ne pourrait mener de réelles réformes structurelles de son approche inefficace aux drogues sans la Genève internationale et ses mandats. Encore faut-il savoir si une majorité de gouvernements veulent finir cette coûteuse guerre contre les drogues, comme tant d’autres guerres ont vu leurs fins se dessiner à Genève.

Khalid Tinasti est secrétaire général de la Commission globale de politique en matière de drogues et chercheur invité au GSI, Université de Genève.


La Commission globale de politique en matière de drogues est une entité indépendante qui compte actuellement 23 membres, dont 12 anciens chefs d’Etat ou de gouvernement et trois lauréats du Prix Nobel. Elle vise à ouvrir, au niveau international, un débat éclairé et scientifique sur des politiques publiques inclusives et efficaces de réduire les préjudices causés aux personnes et aux sociétés par les drogues, ainsi que ceux causés par les politiques de contrôle actuelles.

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