Pour le climat, non, il n’est pas trop tard

Dans Libération du 5 mars, le physicien Jacques Treiner nous invite à faire preuve de réalisme et à admettre que l’objectif de maintenir le réchauffement global sous la barre des 2 °C appartient au passé : «L’humanité est résolument engagée sur la trajectoire du réchauffement de 3 °C à 5 °C.» Nous devrions donc cesser de nous bercer d’illusions, tout en continuant à «agir tous azimuts» pour tourner la page des combustibles fossiles.

Son diagnostic est erroné, qui ignore les efforts, coordonnés et déterminés, de nombreuses organisations de la société civile pour préparer et organiser le passage à un futur sans charbon, gaz et pétrole et ainsi inventer un futur vivable. L’erreur que commet Jacques Treiner est heureuse, étant donné ce qu’impliquerait un tel renoncement. La barre des 2 °C a été fixée arbitrairement. Elle n’est nullement la garantie d’un futur vivable pour les habitants des îles du Pacifique Sud, des Maldives, des Philippines ou encore de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. Renoncer à cet objectif et admettre que nous nous orienterons vers 1 °C à 3 °C de réchauffement supplémentaires reviendrait donc à accepter que notre avenir soit marqué par le chaos et la catastrophe.

Bien sûr, le diagnostic du physicien n’est pas sans fondement. Les principaux pollueurs abandonnent toute ambition dans la lutte contre le réchauffement climatique. Ils refusent, depuis Copenhague, de prendre des engagements contraignants, coordonnés au niveau international, préférant opter pour des promesses qui n’engagent, on le sait, que celles et ceux qui veulent bien y croire. La lecture des recherches les plus récentes sur le sujet n’incite en outre pas à l’optimisme.

Pour espérer conserver une chance sur deux d’atteindre l’objectif des 2 °C, nous ne devons ainsi pas dépasser les 1 240 gigatonnes d’émissions de CO2 cumulées d’ici à 2050. Concrètement, cela signifie que nous ne pouvons pas nous permettre de brûler plus de 700 gigatonnes de CO2 au cours des trente-cinq prochaines années. Si nous voulons augmenter nos chances de tenir l’objectif des 2 °C (ou si nous voulons espérer tendre vers les 1,5 °C) ce «budget carbone» se réduit bien entendu. Or, les réserves de combustibles fossiles actuellement exploitées (ou en passe de l’être) représentent environ 3 000 gigatonnes d’émissions potentielles. La situation semble donc inextricable - d’autant plus qu’elle n’apparaît pas comme proche de s’inverser : à ce jour, pour chaque euro investit dans les renouvelables, quatre euros le sont dans le secteur fossile.

Ensemble, ces chiffres laissent pourtant énormément d’espoir. Ils constituent la preuve qu’il n’est pas trop tard pour agir et atteindre le seul objectif raisonnable : maintenir le réchauffement sous la barre des 2 °C, voire en deçà. Ils nous indiquent une direction claire : tourner définitivement la page des combustibles fossiles.

A Lima, lors de la précédente conférence de l’ONU sur les changements climatiques, plus d’une cinquantaine d’Etats ont ainsi soutenu l’idée de tourner la page des combustibles fossiles à l’horizon 2050.

Comment y parvenir - et transformer cet horizon lointain en perspective tangible ? Comment traduire la nécessité de ne pas dépasser un certain niveau d’émission d’ici à 2050 en perspective politique ? Comment imaginer contraindre les Etats à transformer l’idée simple que nous devons laisser les combustibles fossiles dans le sous-sol en des engagements forts ?

Y répondre implique notamment de penser des manières d’inverser totalement le ratio de 1 à 4. Il ne s’agit alors pas uniquement de développer les énergies renouvelables (un objectif que partagent tous les acteurs, étatiques comme industriels) mais de mettre fin aux activités d’extraction des combustibles fossiles. Plusieurs pistes apparaissent aussitôt : mettre fin aux subventions publiques (directes ou indirectes) versées aux acteurs du secteur des combustibles fossiles ; demander aux banques de cesser de soutenir les projets d’extraction des combustibles ; et demander aux institutions publiques, aux collectivités locales de désinvestir du secteur.

A ce jour, plus de 200 institutions et collectivités locales ont déjà décidé de se désinvestir du secteur, parmi lesquelles on retrouve la ville de San Francisco, le Conseil œcuménique mondial, la British Medical Association (le principal syndicat de médecin au Royaume-Uni), la fondation Rockefeller Brothers, les universités Stanford et de Glasgow, pour un montant total de plus 50 milliards de dollars.

D’après une étude réalisée par des chercheurs d’Oxford, cette campagne de désinvestissement est celle qui doit se développer le plus rapidement (comparée aux campagnes contre l’apartheid en Afrique du Sud, contre l’industrie du tabac, ou encore l’industrie de l’armement).

La conférence de Paris-Le Bourget sera, à cet égard, une étape décisive pour continuer à inverser le rapport de forces, à reprendre notre pouvoir et à ne plus nous laisser voler l’espoir d’un futur vivable par l’industrie fossile, autour d’une affirmation à la fois simple, réaliste et limpide : le charbon, le gaz et le pétrole appartiennent à notre passé, pas les 2 °C de réchauffement.

Nicolas Haeringer, militant au mouvement écologiste 350.org.

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