Pour l'émergence d'une nouvelle Haïti

Le désastre du 12 janvier dernier vient de placer et de positionner une fois de plus Haïti sur la scène internationale avec une ampleur à nul autre pareil. La magie des autoroutes de l'information et de la communication aura aidé et servi à faire connaître ce pays, sa situation géographique, s'il en était besoin, à mieux répandre son histoire et mettre à nu ses conditions socio-économiques, à un niveau tel qu'il n'aura jamais été possible sans ce cataclysme qui a ravagé en priorité sa capitale Port-au-Prince. L'écho a été si puissant et percutant que la quasi-totalité des nations de la Terre se sont dépêchées dans un élan unanime pour porter secours et soutien et, dans une certaine mesure, manifester concrètement leur souci de contribuer, de manière diligente, à l'aider à traverser cette mauvaise passe dont les conséquences se révèlent désormais extrêmement préoccupantes.

Le moins qu'on puisse reconnaître en tout cas est que, malgré les immenses professions de bonne foi, les perspectives ne semblent pas tout à fait reluisantes tant l'énorme travail de reconstruction s'apparente à un projet multisectoriel de grande envergure et de longue haleine qui nécessitera des fonds substantiels risquant de dépasser les capacités de l'Haïti d'aujourd'hui. Il est vrai, qu'il se dit qu'à l'échelle de la planète, des collectes et toutes autres activités à finalité financière et d'entraide sont mises en œuvre pour constituer et accumuler des capitaux indispensables, cependant l'essentiel reste et demeure la définition des objectifs et la hiérarchisation des priorités à défaut d'un plan global auquel il serait judicieux de recourir.

L'événement s'est produit à un moment où le pays abordait une tentative de relance des activités économiques avec des ambitions généreuses de développement des pôles d'attractivité, avec pour corollaire la mise en place de nouvelles infrastructures, surtout en termes énergétiques, de communication, et l'élaboration de politiques publiques visant des secteurs porteurs comme l'agriculture, le tourisme, le relèvement progressif des services de la sous-traitance textile, et l'adoption de mesures appropriées susceptibles d'attirer des investisseurs étrangers, notamment ceux de la diaspora haïtienne... malgré certains dispositifs qui mériteraient d'être ventilés. Il a existé ces derniers mois un certain regain d'activités qui aurait auguré les possibilités de création d'emplois, fruit probable de pépinières d'entreprises que la conjoncture aurait pu favoriser... mais une minute a suffi pour tout remettre en question.

La juvénilité de la population haïtienne, en rupture de motivation, mais qui constitue tout de même un réservoir non négligeable de main-d'œuvre, devrait plaider pour une prise en charge responsable des pistes de réflexions vers le développement, voire au moins et donc pour l'amélioration des conditions de vie. Il devient alors impératif de saisir cette triste opportunité afin de laisser aux jeunes compétences le soin de bâtir leurs expériences. L'éventualité des prochaines élections pourrait servir de piste d'envol pour une nouvelle classe politique plus sensible aux enjeux démocratiques. Elle se manifeste déjà par sa soif de pouvoir et son désir d'assumer des responsabilités mais elle doit également se soumettre aux exigences de savoirs trop souvent négligés. La primauté de l'intérêt général sur les intérêts particuliers trop souvent mesquins, le sens du service public, dans le souci de préserver le bien commun, sont autant d'éléments qui seront déterminants dans la gestion de la chose publique.

S'il s'avère peut-être urgent de reconstruire les édifices publics dont la solidité a été éprouvée, et d'envisager les nouveaux plans d'urbanisme qui méritent d'être autrement aménagés, il paraît utile de permettre, au regard de la modernité, d'insuffler un dynamisme pertinent aux potentialités avérées et réelles de croissance. Il devient à tous égards opportun de s'en tenir à de nouvelles donnes pour concevoir des projets d'avenir. De prime abord, les types d'habitat qui devraient être à la fois antisismiques et anticycloniques, notamment dans les départements de l'Ouest, du Sud et du Sud-Ouest récemment touchés. Ensuite, la couverture électrique avec la préférence éolienne et solaire. Le perfectionnement des moyens et techniques pour une meilleure stabilisation des systèmes de communication et, enfin, l'adoption d'une plateforme institutionnelle capable d'accueillir les transferts de technologies de tout ordre.

En tout état de cause, l'accident du 12 janvier peut ou doit servir de prétexte pour modeler un cadre de vie différent comme le profil résolu d'une vision nouvelle qui tienne compte des disponibilités et ressources nationales. Il serait alors indiqué que les technologies qui suivent, en général, la politique des bailleurs de fonds soient appropriées et adaptées aux réalités locales. Dans cette ambiance où la présomption d'une attitude hégémonique attise la méfiance, le bien-faire doit saisir l'urgence en vue de résultats sans cesse performants face aux limites constatées du pouvoir haïtien.

Cette tragédie aura fourni l'occasion de reconsidérer une nouvelle forme du vivre ensemble capable de mobiliser les énergies. Il suffit d'observer la diligence de la communauté internationale laquelle, il faut le souhaiter, ne devrait pas durer l'espace d'une émotion pour que l'après-12 janvier soit révélateur d'une coopération aboutie. Et que les promesses ne connaissent pas le sort des conférences et sommets de bonne intention...

Yves Michel B. Canal, juriste et fonctionnaire au minitère de l'économie et de l'industrie d'Haïti.