Pour l’interdiction de l’emploi et du commerce des armes nucléaires

Le sommet sur le nucléaire de Séoul est parvenu à un accord sur la prévention du terrorisme nucléaire et l’on s’en réjouira, même si le risque d’un terrorisme fondé sur l’utilisation d’armes biologiques, beaucoup plus faciles à produire et à manier, paraît bien plus grand.

On a noté par ailleurs avec satisfaction les remarques de notre ministre des Affaires étrangères sur les efforts à faire dans le domaine du désarmement nucléaire. Mais n’est-il pas temps d’aller plus loin en reconnaissant enfin que le seul objectif raisonnable est aujour­d’hui celui d’une interdiction totale de l’emploi, de la possession et du commerce des armes nucléaires, à l’exemple de ce qui existe pour les armes biologiques et chimiques?

La dissuasion nucléaire est un concept qui a peut-être permis d’éviter des confrontations directes entre les grandes puissances mais il est obsolète. Quel Etat peut aujourd’hui sérieusement envisager d’utiliser une arme nucléaire? Hubert Védrine, l’ancien ministre français des Affaires étrangères, dont j’admire par ailleurs les analyses, a récemment affirmé sans vraiment l’expliquer l’importance pour la France de maintenir sa politique de défense fondée sur la dissuasion nucléaire. A l’heure de l’Union européenne, qui donc la France prétend-elle dissuader et qui peut croire qu’elle se permettrait d’utiliser l’arme nucléaire, au su de l’impact humain et environnemental d’un tel usage et au risque de représailles qui n’épargneraient pas ses voisins? Sans oublier que la dissuasion nucléaire n’a aucune prise sur les mouvances terroristes, éparpillées dans de nombreux pays.

Cela nous amène à un autre aspect du débat sur l’Iran et sur l’intervention militaire qui serait envisagée contre ce pays par Israël. Comme il a été dit dans ce journal, une intervention militaire d’Israël pour stopper toute velléité iranienne de se doter des moyens de fabriquer l’arme nucléaire serait incontestablement une violation du droit international, même pour les partisans de l’interprétation la plus large du droit de légitime défense. Mais au-delà de cet aspect du problème, deux questions se posent. Comment justifier l’interdiction faite à l’Iran de posséder l’arme nucléaire, et quel est le risque, au cas où l’Iran se doterait de cette arme, qu’il l’utilise contre Israël?

L’interdiction faite à l’Iran se fonde sur le traité de 1968 sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui repose sur trois principes: les Etats nucléaires s’engagent à fournir aux autres Etats parties au traité la technologie nucléaire civile (dont on ne mettait alors pas en cause les «bienfaits»!); ceux-ci, en contrepartie, s’engagent, sous contrôle, à ne pas fabriquer ou acquérir d’armes nucléaires; et les puissances nucléaires négocient de bonne foi le désarmement nucléaire. L’Iran étant partie au traité, il est donc tenu de se soumettre à certaines procédures de contrôle, que, certes, il n’a pas entièrement respectées. Mais il pourrait aussi se retirer du traité, à l’instar de la Corée du Nord. Pour l’heure en tout cas, il n’a pas jugé utile de jouer cette carte et n’a jamais prétendu qu’il comptait fabriquer l’arme nucléaire, même s’il semble développer une technologie qui lui permettrait de le faire. Quant à Israël, il est lui-même doté de l’arme nucléaire… mais n’est pas partie au traité de non-prolifération. Dire qu’Israël est en droit de posséder l’arme nucléaire mais pas l’Iran repose donc sur une approche très étroitement juridique de la situation actuelle. Or il est clair que l’attitude d’Israël à l’égard de l’Iran ne serait pas modifiée si celui-ci prétendait se retirer du traité de 1968. Bien au contraire, cela ne ferait qu’attiser sa méfiance.

Quant à l’utilisation hypothétique de l’arme nucléaire par les Iraniens, elle ne résiste guère à l’analyse. En plus de l’arme, l’Iran devrait disposer d’un vecteur qui ne pourrait pas être intercepté (hypothèse peu probable) et il se trouverait devant l’équation impossible de toucher les Israéliens sans atteindre les Palestiniens et les autres voisins d’Israël. En sus, ce geste serait à l’évidence suicidaire, tant il est clair qu’aucun gouvernement ne survivrait aux réactions militaires que susciterait une telle attaque. La seule hypothèse crédible est donc que l’Iran souhaite, par la possession de l’arme, conforter son statut de puissance régionale.

L’hypothèse d’une intervention militaire israélienne en Iran, calculée pour entraîner les Etats-Unis dans la mêlée, suite aux mesures de rétorsion prises par l’Iran et à la proximité de l’échéance électorale du président Obama, est aujourd’hui un scénario qui est loin d’être exclu et qui aurait des répercussions catastrophiques sur les populations touchées et sur l’économie mondiale, tout en attisant la flamme odieuse du terrorisme. Rien ne saurait justifier celui-ci, rappelons-le sans ambiguïté, et il ne s’agit pas de tomber dans l’angélisme en niant l’importance de s’en protéger ou en passant sous silence les tergiversations iraniennes. Combattre de front le feu du terrorisme est toutefois insuffisant – l’on constate bien aujourd’hui les limites de la «war on terror», selon l’expression de George Bush, et d’une approche manichéenne du monde – il faut aussi tout faire pour étouffer ce feu par des gestes qui le privent de son oxygène: pour Israël en s’engageant fermement, par exemple, derrière la proposition d’établir une zone dénucléarisée au Moyen-Orient; pour les grandes puissances en lançant le processus d’un traité d’abolition des armes nucléaires et, dans un autre registre, en s’engageant enfin de manière déterminée et concertée, au côté des Israéliens et des Palestiniens, dans l’élaboration d’une solution crédible et viable au problème israélo-palestinien, source première des frustrations qui ont engendré une bonne partie des activités terroristes de notre époque.

Dans l’immédiat, l’une des tâches prioritaires des diplomaties suisse, européenne, mondiale est certainement de dissuader le gouvernement israélien de jeter de l’huile sur le feu du terrorisme en se lançant, contre l’avis de très nombreux Israéliens d’ailleurs, dans une aventure militaire en Iran, au mépris du droit international et au détriment de l’intérêt de l’ensemble de la communauté internationale.

Yves Sandoz, professeur retraité de droit international humanitaire.

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