Pour lutter contre les nationalismes, osons l’identité de l’Europe

A l’heure de la victoire d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle, la question de l’Europe reste entière et n’a sans doute pas fini de diviser les Français. Or pourquoi ce problème focalise-t-il tant de crispations, sinon parce qu’il engage la question même de l’identité ? Pour le comprendre, il n’est pas inutile d’évoquer l’Europe des années 1930.

A cette époque l’idée de l’Europe est celle du combat engagé contre les nationalismes, à commencer par celui que défendit, en France, Charles Maurras, le fondateur de l’Action française. D’aucuns s’étonneront que la situation de l’Europe des années 1930 puisse éclairer notre présent. Ils auront tort. Les modalités du combat que livrèrent les partisans de l’Europe contre l’identitarisme nationaliste de Charles Maurras pourraient bien mettre en évidence que nombre d’entre ceux qui se proclament aujourd’hui « partisans de l’Europe » sont, en vérité, ses fossoyeurs !

L’attachement de Benda à « l’universel »

Nous appuierons notre analyse sur la démarche initiée par Julien Benda, auteur de La Trahison des clercs (1927). Dans cet ouvrage, Benda expliquait que les clercs du XXe siècle ont renoncé à leur vocation : défendre les valeurs universelles de vérité et de justice qu’ils auraient précisément trahies en les attachant à des nations par­ticulières. Chacun sait que la charge vise le fondateur de l’Action française.

Sait-on que l’attachement de Benda à « l’universel » l’amena à défendre la cause de l’Europe ? Et se souvient-on des termes dans lesquels, dans son Discours à la nation européenne de 1933, il défendit cette cause ? Soulignant ce qu’elle devra faire pour advenir à l’existence, « l’Europe, affirme Benda, ne sera pas le fruit d’une simple transformation économique, juridique ou politique ». Elle devra accomplir « une révolution dans l’ordre intellectuel et moral ». Car comment pourra-t-elle exister si elle n’adopte pas un système de valeurs dans lequel tous les peuples pourront se reconnaître ? « L’Europe se fera donc, ajoute-t-il encore, comme se firent les nations. »

La France s’est faite parce qu’à l’amour pour sa province s’est superposé l’amour pour une réalité transcendante. Il en sera de même pour l’Europe. Chaque Européen devra fixer ses yeux sur l’idée de l’Europe et non sur les intérêts matériels et égoïstes de la nation à laquelle il appartient.

La thèse de Benda est donc aussi lumineuse que claire : le combat contre l’identitarisme ne se mène pas dans le refus de toute identité mais dans l’affirmation d’une identité qui transcende les iden­tités nationales, l’identité européenne ! A l’heure de la victoire, en France, du candidat qui fit du projet européen une cause majeure, n’est-il pas grand temps de repenser l’Europe et son identité ?

Cosmopolitisme « post-identitaire »

En effet, si certains de nos concitoyens n’ont pas honte d’affirmer que les peuples européens sont des peuples de culture gréco-latine et de religion chrétienne, cette opinion est loin d’être partagée. Se refusant à se reconnaître une identité par crainte de promouvoir le rejet de l’autre, nombre d’entre nous adoptent une position qui est celle du cosmopolitisme « post-identitaire ». Cette position, défendue en Allemagne par le sociologue Ulrich Beck et en France par Jean-Marc Ferry, se ramène à l’idée que le propre de l’Europe est de ne pas avoir de propre. Apparaît ainsi la raison essentielle pour laquelle les Européens n’adhèrent pas à l’Europe. Car à force d’affirmer que celle-ci n’a pas d’identité propre, n’avons-nous pas ruiné toute chance de pouvoir nous y reconnaître ?

Or l’Europe n’existera réellement que lorsque les Européens parviendront à se reconnaître en elle. Car de la même façon que Benda combattit les nationalismes au nom de l’idée européenne, nous ne donnerons espoir aux Européens en panne d’identité qu’en affirmant l’existence de l’identité européenne. Car, enfin, comment les Européens pourront-ils bien se reconnaître comme tels si on les persuade que l’Europe n’a pas d’identité propre, et en fin de compte qu’elle n’existe pas ?

Les données du problème sont claires. Tant que les Européens penseront l’Europe dans les termes du cosmopolitisme post-identitaire, l’Europe n’existera pas. Si le temps est venu d’opérer un choix et si ce choix, en France, et comme l’a promis le président Macron, est celui de l’Europe, alors il se doit d’être celui du courage. Le courage d’affirmer que l’Europe est le nom d’un ensemble de valeurs héritées de son histoire et, en l’occurrence, de l’influence conjointe de la culture gréco-romaine et de la spiritualité judéo-chrétienne.

Claude Obadia, philosophe.

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