Si nous voulons diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050 et stabiliser la hausse des températures à + 2 °C, il nous faut passer d'une économie du carbone à une économie du "non-carbone". Et si nous désirons retrouver l'amitié perdue avec l'environnement, il nous faut, au-delà de la seule question climatique, changer en croissance sobre la croissance gourmande en ressources naturelles. Ce qui implique un triple effort sur l'économie afin de la décarboner, la dématérialiser et la déshydrater.
La décarboner, pour quitter le monde du pétrole, du gaz et du charbon. Mais comment réduire drastiquement les rejets de gaz carbonique, tout en satisfaisant une demande énergétique croissante à l'échelle planétaire ? D'abord, en économisant l'énergie. Ensuite, en remplaçant les énergies fossiles par des énergies propres. Enfin, à défaut d'abandonner les énergies "sales", en les rendant artificiellement propres, c'est-à-dire en capturant les gaz à effets de serre qu'elles dégagent.
Les exemples de conversion énergétique et de renforcement de l'efficacité énergétique abondent. Ils figurent au coeur de l'activité de Veolia Environnement. A Dunkerque, nous transformons l'énergie fatale de l'usine d'ArcelorMittal en source de chaleur pour le chauffage de la ville. A Rouen, le recours aux biocarburants a réduit de 15 % les émissions de gaz à effet de serre des transports urbains. A Ho Chi Minh-Ville, l'optimisation de l'éclairage public a diminué les consommations énergétiques de 30 %.
A Saragosse, les 32 hectares de toits de l'usine General Motors sont couverts de panneaux solaires : c'est la plus puissante installation photovoltaïque en toiture au monde. A Limay (dans les Yvelines), nous produisons du biodiesel à partir d'huiles alimentaires usagées. A Pécs, en Hongrie, se trouve une des plus grandes centrales à biomasse d'Europe centrale : elle alimente le deuxième réseau de chaleur du pays. A Alexandrie, la collecte du biogaz dans deux centres de stockage des déchets évitera de rejeter quelque 3 millions de tonnes de gaz à effet de serre en dix ans.
Deuxièmement, dématérialiser l'économie afin de consommer moins de ressources naturelles. Comment y parvenir ? En généralisant le recyclage des matières qui imite le mode de fonctionnement de la nature. En transformant les déchets industriels et ménagers en matières premières secondaires telles que les métaux, le verre, les papiers et cartons... Détruire 1 kg de déchets, faute d'avoir su le valoriser ou le réutiliser, restera toujours un échec.
Enfin, déshydrater l'économie pour diminuer les prélèvements dans les rivières et les nappes souterraines. Car l'eau est le domaine qui sera le plus affecté par les changements climatiques. De vastes marges de manoeuvre existent pour relever la productivité de l'eau. La Chine produit 2 fois plus de riz par hectare que l'Inde avec le même volume d'eau. Mais de l'autre côté, pour chaque unité de PNB produite, la Chine consomme environ six fois plus d'eau que la Corée du Sud et dix fois plus que le Japon...
Les techniques évoquées ci-dessus possèdent une caractéristique commune : ce sont toutes des solutions de proximité. Le XXe siècle a connu le triomphe des grandes infrastructures. Le XXIe siècle verra, en complément, la multiplication des équipements décentralisés au niveau local : panneaux solaires, centrales à biomasse, installations géothermiques, systèmes de récupération de chaleur, centres de tri et recyclage des déchets, usines de réutilisation des eaux usées... Ce sont ces "énergies de proximité", ces "matériaux de proximité", ces "eaux de proximité" qui permettront de décliner le triptyque décarboner-dématérialiser-déshydrater.
Quels que soient les résultats de la conférence de Copenhague, nous ne franchirons pas le difficile cap climatique qui s'approche sans innovation radicale dans les énergies. Et donc sans investissements lourds dans la recherche. Les technologies actuelles peuvent beaucoup, mais elles ne peuvent pas tout, loin s'en faut. Il est illusoire d'espérer répondre aux bouleversements climatiques sans innovation majeure.
Comment désintoxiquer l'économie, droguée au carbone, sans nouveaux modes de production ? Comment sortir du "business as usual" en gardant les technologies habituelles ? Sans innovation, nous ne pourrons pas échapper au dilemme "la croissance et la pollution ou la stagnation et la protection de l'environnement". Si l'avenir devait se faire à technologies constantes, alors la lutte contre le réchauffement serait perdue d'avance. L'économie "verte" sera une économie de l'innovation ou ne sera pas. Replacée dans cette perspective, la crise financière rappelle qu'il existe une stratégie à double dividende à ne pas manquer : d'une part, relancer puis fortifier la machine économique par des investissements massifs ; d'autre part, protéger l'environnement en dirigeant vers lui une large partie de ces investissements. Les plans de relance de chaque pays et, en France, le grand emprunt, pourraient être l'occasion d'une avancée de l'économie "verte".
C'est dans les villes, ces îlots de chaleur et ces dévoreuses d'énergie, que se jouera une large partie du combat contre le réchauffement. Elles hébergent déjà la moitié de l'humanité. D'ici à 2050, elles en accueilleront les trois quarts. L'enjeu climatique est trop sérieux pour s'offrir le luxe de mal gérer les services urbains.
A quoi servent les techniques les plus sobres si elles sont mises en oeuvre imparfaitement ? Mal conçus ou gérés, un ensemble immobilier, un réseau de froid, un système de transport urbain peuvent devenir des gouffres énergétiques. Bien exploités, ils se révèlent des économiseurs d'énergie. Si elles ne sont pas utilisées avec professionnalisme, les technologies les plus performantes s'avéreront décevantes.
C'est en relevant ce défi industriel que l'on réalisera le paradoxe de "faire plus avec moins". C'est en encourageant l'inventivité humaine que l'on produira davantage de biens et services avec moins d'énergie, moins de matières et moins d'impacts sur l'environnement. C'est en innovant que l'on fera que l'économie redevienne économe.
Antoine Frérot, directeur général de Veolia Environnement.