Pour protéger nos institutions démocratiques, la résilience numérique est essentielle

L’Union européenne (UE) défend des échanges commerciaux libres et équitables, ainsi qu’un ordre international fondé sur des règles. Elle cherche à protéger et à promouvoir ses intérêts en pesant sur l’élaboration de ces règles et normes internationales, comme elle a réussi à le faire dans le domaine du respect de la vie privée et de la protection des données. Cependant, l’évolution de nos infrastructures et technologies numériques critiques à l’échelle mondiale, telles que la 5G, l’informatique en nuage et l’intelligence artificielle – qui constituent l’épine dorsale de notre existence interconnectée moderne – met en péril la capacité de l’UE à continuer d’exercer cette influence.

Les Etats-Unis et la Chine, les deux autres puissances qui fixent les règles au niveau mondial, ont déjà commencé à relever ce défi ; en ne le faisant pas, l’Union court le risque de devenir une victime collatérale de cette évolution.

Le monde de plus en plus interconnecté dans lequel nous vivons nous procure à tous d’immenses avantages, mais est aussi à l’origine de risques économiques et politiques. Pour protéger les secrets d’Etat, la recherche industrielle, la propriété intellectuelle, les stratégies d’entreprise, nos élections et nos institutions démocratiques, mais aussi nos propres données à caractère personnel, la résilience numérique est essentielle. Cette résilience, et la confiance qui en découle, dépendent avant tout de notre infrastructure numérique critique.

Le risque d’un usage abusif

Le déploiement de la 5G, qui débutera en 2020, marque un changement radical par rapport à la 3G et à la 4G, parce qu’elle connectera tout. Avec l’informatique en nuage, cette interconnexion touchera des dizaines de milliards d’appareils personnels supplémentaires. L’intelligence artificielle permet d’utiliser d’énormes volumes de données à caractère personnel, mais aussi d’en faire un usage abusif. Si les tendances actuelles se poursuivent, des fournisseurs non européens domineront le marché de la 5G. Leurs concurrents européens, qui se répartiront environ 30 % du marché, afficheront des prix plus élevés. Actuellement, plus de 90 % de nos appareils informatiques sont fabriqués en Asie, notamment en Chine, et cette dernière contrôle 70 % de l’approvisionnement mondial en matières premières critiques indispensables à leur production. Les investissements des Etats-Unis et de la Chine dans l’intelligence artificielle font apparaître dérisoires les montants que l’Europe y consacre. Ainsi, lorsque la France investit 1,5 milliard d’euros, on parle de 13,5 milliards d’euros pour la seule ville chinoise de Tianjin !

Ce type de dépendances entraîne des risques et des vulnérabilités. Mais comment pouvons-nous réagir ? Les Etats-Unis ont commencé à prendre des mesures pour protéger leurs technologies de pointe, notamment par les contrôles qu’effectue le Comité pour l’investissement étranger (Committee on Foreign Investment in the United States, CFIUS). Ils ont réagi à la nouvelle loi chinoise sur le renseignement, qui oblige les entreprises chinoises à collaborer avec les services de renseignement chinois en interdisant aux agences gouvernementales américaines de faire appel aux services de Huawei ou de [l’équipementier en télécoms] ZTE, et en encourageant d’autres pays à faire de même. La Chine protège et contrôle l’accès à son marché intérieur, tout en poursuivant une politique vigoureuse d’expansion internationale dans le domaine des infrastructures, tant réelles que virtuelles.

L’Europe doit donc faire certains choix, et avoir sans tarder un débat sur plusieurs questions : voulons-nous continuer à voir nos propres technologies de pointe cédées à des acteurs étrangers les unes après les autres ? Est-il judicieux que chaque pays gère ses propres fréquences pour la 5G sans savoir ce que les autres font et sans se coordonner avec eux, pour finir par voir s’imposer un fournisseur dominant sur l’ensemble du continent ? Notre investissement collectif dans l’intelligence artificielle et d’autres technologies vitales représente-t-il plus que la somme des investissements individuels ?

Ces questions soulèvent des problèmes épineux, notamment à propos du processus décisionnel au niveau national. Ceux-ci ne seront pas faciles à résoudre. Il est vain de vouloir tout protéger : la question est donc de savoir ce qui est vraiment important dans l’écosystème numérique. Une plus grande transparence en ce qui concerne les fournisseurs, l’intégrité de la chaîne d’approvisionnement, les investissements directs étrangers et l’identité des investisseurs contribuerait-elle à atténuer les risques pour la sécurité ? Certaines parties de l’épine dorsale de l’infrastructure numérique sont-elles simplement trop cruciales pour prendre des risques à leur sujet ?

Quelles que soient les réponses, ce débat devient de plus en plus urgent. Le sol même sur lequel nous avons bâti notre existence numérique et interconnectée devient mouvant. Prenons garde à ce qu’il ne se dérobe pas sous nos pas.

Julian King est commissaire européen à la sécurité.

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