Pour que le consentement ne soit plus l’arlésienne de l’infraction de viol

Le Sénat vient de voter une proposition de loi faisant de toute relation sexuelle entre un majeur et un mineur de moins de 13 ans un crime puni de vingt ans de réclusion. Le gouvernement s’est engagé à élever cet âge à 15 ans. Dans l’un comme l’autre cas, il ne sera donc plus question du funeste débat de savoir si le mineur était consentant ou non à l’acte sexuel. On approuvera ces projets législatifs mais ceux-ci ne régleront pas le problème de fond relatif au consentement à l’acte sexuel que diverses affaires ont pu soulever.

Quid de toutes ces situations relevant de la «zone grise» ?

En effet, en vertu des textes relatifs aux agressions sexuelles, le point nodal du procès ne repose pas littéralement dans le défaut de consentement chez la victime mais la conscience, chez l’auteur des faits, d’avoir obtenu l’acte sexuel de la victime par «violence, contrainte, menace ou surprise». Comme l’écrivait un juge d’instruction dans sa décision concernant un ministre actuellement mis en cause dans une affaire de mœurs, en droit, «le défaut de consentement ne suffit pas à caractériser le viol. Encore faut-il que le mis en cause ait eu conscience d’imposer un acte sexuel par violence, menace, contrainte ou surprise». De surcroît, afin de protéger les citoyens contre l’arbitraire des juges, ceux-ci ont pour ordre d’interpréter strictement la loi pénale et de ne pas en étendre le sens au-delà de ce que le législateur a explicitement souhaité.

Les notions légales fondatrices de la répression en matière d’agression sexuelle sont donc peut-être plus étroites qu’on ne le pense en dehors du monde judiciaire, et l’interprétation qui en est faite doit être stricte. Or la société attend de nos jours une protection plus étendue de la liberté sexuelle des personnes qui a pour effet d’ériger la notion de consentement en une forme d’expression de volonté presque enthousiaste de la relation sexuelle que certains conçoivent comme quasiment équivalente au désir. Ce hiatus produit contre les juges des accusations de misogynie et de soutien à la «culture du viol», que ceux-ci comprennent peut-être d’autant moins que deux tiers d’entre eux sont des femmes. Bref, les malentendus semblent réciproques.

Concernant les mineurs de moins de 15 ans, le texte promis par la chancellerie devrait œuvrer à la réconciliation. Mais pour les autres, la question demeure. Quid de toutes ces situations relevant de la «zone grise» : passivité de la victime jugée ambiguë, non-consentement que l’auteur des faits prétend avoir mal compris, consentement obtenu par mensonge, etc. ? Ces cas ne sont actuellement pas clairement cernés par le droit français.

Réintroduire la notion de «consentement»

Pour contribuer à améliorer l’attention à l’autre dans la relation sexuelle, nous proposons de changer le vocabulaire de la loi en y introduisant explicitement l’exigence d’un «consentement» du partenaire en remplacement de celui de l’absence de «violence, contrainte, menace ou surprise», et en organisant clairement le droit légiféré autour de cette notion cardinale. Le remplacement ne s’y ferait donc pas poste pour poste mais devrait s’accompagner d’un nouveau système de définition et de répression des infractions sexuelles. A cet exemple, le code criminel du Canada, depuis les années 1980, a sensiblement renforcé et clarifié l’exigence du «consentement», qui y figure comme tel, comme critère de licéité des relations sexuelles. Les degrés de répression y sont fondamentalement structurés non pas autour de la question de l’existence ou non d’une pénétration sexuelle (ce qui est le cas en France, où la peine passe de cinq ans de prison à quinze ans de réclusion au regard de cette seule considération) mais autour de la manière de porter atteinte à la liberté sexuelle de la victime ainsi que de la gravité des lésions causées à son corps par l’agression. De plus, les incriminations pénales sont accompagnées de précisions sur les manières d’analyser et démontrer l’existence ou non de ce consentement et sur la possibilité ou non, pour l’auteur des faits, de pouvoir arguer de son existence en justice. De telles précisions sont indispensables pour la sécurité juridique car la notion de consentement, dans l’absolu, n’est pas sans ambiguïté.

Certes, il ne faut pas surestimer l’importance du droit. D’une part, les lois ne font pas les civilisations, elles n’en sont que l’expression. Autrement dit, ces modifications législatives ne changeront pas à elles seules les comportements des justiciables. D’autre part, elles ne changeront pas forcément les habitudes du jour au lendemain dans les prétoires : les tribunaux, en cas de changement de législation, ont tendance à interpréter les nouveaux textes à la lumière des anciennes solutions et donc à faire parfois perdurer celles-ci (cela a été observé sur divers points lorsque le code pénal de 1994 a remplacé celui de 1810). Cependant, on peut espérer que, avec le temps, les nouvelles notions traceront leur propre lit dans la diversité des pratiques judiciaires. Si la conscience de cela se répand dans la société, on pourra alors peut-être affirmer que la législation aura contribué au progrès des mœurs.

Par Mathias Couturier, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Université de Caen Normandie

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