Pour un nouvel A.D.N. européen, avec ou sans le Royaume-Uni

Au soir du 23 juin, quel que puisse être l’issue du référendum sur le « Brexit », la principale question qui se posera ou devrait s’imposer aux 28 leaders européens sera celle des leçons à en tirer : crise larvée ou persistante ? fin d’un cycle et début d’un autre ? C’est en tout cas une nouvelle page de l’histoire européenne qu’il leur reviendra d’écrire. Mais en sont-ils capables et si oui, sur quelles bases ?

Il nous semble que le temps est venu, pour ceux des Etats membres qui y seraient disposés, d’implanter un nouvel A.D.N. européen autour de trois séquences régénérées : Autorité, Démocratie et Noyau dur.

Autorité : on connaît le reproche souvent formulé à l’encontre de l’Union européenne (UE) ; un géant économique, un nain politique. C’est bien d’autorité dont elle fait défaut aujourd’hui. Une telle autorité se construit aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières. En son sein, l’UE doit aller jusqu’au bout de la logique d’une union économique, monétaire et sociale (UEMS) en revendiquant le transfert à son profit des compétences des Etats membres qui manquent au puzzle : intégration (et plus seulement coopération) des objectifs et des instruments de politique économique et industrielle, extension du champ et renforcement de la « normativité » du dialogue social européen, création d’un Trésor européen. A l’extérieur, l’UE doit aller jusqu’au bout de la logique de sa politique étrangère et de sécurité commune (PESC) pour en faire une politique intégrée de diplomatie et de défense (PIDD). Sans parole unifiée sur la scène internationale et sans défense commune, pas d’autorité internationale digne de ce nom, notamment lorsqu’il y a lieu de négocier avec les Etats-Unis ou la Chine. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, l’idéal de paix, fondement de la construction européenne de l’après Seconde guerre mondiale, ne pourra être préservé que si une armée UE voit le jour, cantonnant l’OTAN à un rôle de dernier recours et non de premier bouclier.

Démocratie : c’est le deuxième défi pour l’avenir de l’UE. Le propos peut paraître surprenant, voire provocateur. Toutefois, les derniers développements de l’actualité en Autriche, en Hongrie ou en Pologne, pour ne pas parler de certains Etats candidats à l’adhésion (Turquie), montrent que la défense de l’Etat de droit est un combat quotidien, même pour l’UE. Ses valeurs et sa charte des droits fondamentaux doivent continuer à être non-négociables et à inspirer son action, quitte à introduire, à côté de l’actuelle procédure de retrait volontaire, une procédure de retrait forcé. Le renforcement démocratique doit permettre aussi de donner corps à l’esprit de démocratie sociale. La déclinaison systématique de l’exigence de solidarité dans les différentes facettes de l’UEMS correspondra à un tel esprit. Mais c’est aussi de davantage de démocratie citoyenne qu’il convient de favoriser. A cette fin, une réflexion sur le mécano institutionnel ne peut pas être escamotée. Le rôle législatif du Parlement européen doit être conforté et étendu là où il ne l’est pas encore (y compris dans le cadre de la future PIDD) ; celui du Conseil (creuset des Etats membres) doit évoluer vers un rôle proche de celui d’un Sénat en France qui n’aurait plus nécessairement à partager le dernier mot dans le processus décisionnel. Quant à la Commission, il est temps qu’on consacre sa fonction de gouvernement de l’UE. A cette fin, son investiture devrait dépendre entièrement du Parlement européen, faisant ainsi écho à son éventuelle censure que ce dernier peut déjà voter.

Noyau dur : le réalisme ne plaide évidemment pas pour une mise en œuvre des réformes précitées en l’état actuel des 28 Etats membres. Seule une avant-garde resserrée peut aujourd’hui relever le pari du renouveau. Et il n’est pas certain que ce noyau dur puisse trouver son expression dans le cadre de la zone Euro à 19. Un retour à l’Europe des 6 n’est pas non plus réaliste ni souhaitable. Mais c’est bien le même esprit que celui qui anima la conférence de Messine en 1955 qu’il faut retrouver et pour ce faire, le noyau dur doit regrouper un nombre à la fois significatif et opérationnel. L’initiative prise en début d’année par l’Italie peut en tracer la voie et le mécanisme dit de coopération renforcée qui, depuis qu’il a été institué par le Traité de Maastricht (1992), n’a été que péniblement mis en œuvre par trois fois à ce jour, doit être mis plus souvent à profit par les Etats membres disposés à faire franchir à l’UE une nouvelle étape. A cet égard, le souhait formulé par certains d’une initiative franco-allemande forte s’exprimant en ce sens, au lendemain du 23 juin, doit être partagé et concrétisé.

1946-2016 : soixante-dix ans après le discours de Churchill sur l’unité européenne, c’est de nouveau d’Outre-Manche, pour d’autres motifs et dans d’autres circonstances, que nous viennent les raisons d’une (re)mobilisation pour l’avenir du continent européen: pour que l’UE retrouve confiance en elle-même ; pour que les citoyens retrouvent confiance en l’UE.

Stéphane Rodrigues, membre de l’Institut de recherche et d’études de droit international et européen de la Sorbonne (IREDIES).

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