Dans son dernier ouvrage paru chez Plon, La Révolution tranhumaniste, le philosophe Luc Ferry entend nous montrer «comment la technologie et l’ubérisation du monde vont bouleverser nos vies». On croit comprendre qu’il s’agirait d’une fatalité d’avenir, vis-à-vis de laquelle il nous serait difficile, voire impossible, de résister. Il est vrai que sous l’effet d’Internet, des progrès de l’informatique et de la robotisation, les machines se font aujourd’hui beaucoup plus efficaces que les êtres humains dans un nombre croissant de secteurs. L’intelligence artificielle a même furieusement tendance à s’emballer à gogo, avant même que nous en ayons encore pensé toutes les conséquences.
Regardons les choses en face. D’ici cinq à dix ans, nous ne pourrons probablement plus nier la domination, au moins partielle, des machines dans notre économie - les premières victimes de ce mouvement d’ampleur seront d’ailleurs probablement les salariés les moins qualifiés. La précarité semble s’installer. Selon le cabinet Roland Berger, avec 20% de tâches automatisées d’ici à 2025, les robots et autres logiciels pourraient renvoyer chez eux 3 millions de salariés en France, provoquant du même coup un taux de… 18% de chômage. Il est donc, en effet, probable que la technologie et l’ubérisation du monde changent nos vies.
Mais pourquoi ne pas dire aussi que de nouveaux modèles économiques et sociaux sont d’ores et déjà possibles, et que l’Etat n’est pas totalement impuissant devant cette précarisation de l’économie - pourvu qu’il ait le courage des réformes et, surtout, une vision stable et pertinente du marché de l’emploi. Quant à l’avènement annoncé de la toute-puissante technomédecine, avec son lot de logiciels de mesures sanitaires, puces électroniques sous-cutanées, pompes à insuline internes, prothèses robotiques et autres robots chirurgicaux, après tout, pourquoi pas. L’homme réparé par la technologie est d’ores et déjà une réalité. Ce transhumanisme-là n’est pas un problème en soi, car il pourrait devenir une source ingénieuse de progrès, notamment pour les personnes handicapées - du moins pour celles, et ce n’est pas rien, qui en auront les moyens.
Prendre sa santé en main
Le doute advient plutôt lorsque les transhumanistes prétendent, à coup sûr, augmenter l’homme. A l’horizon 2045, le milliardaire russe Dimitry Itskov entend ainsi créer un hologramme, censé être une copie parfaite de son être humain d’origine. C’est ainsi que, peu à peu, le discours transhumaniste se radicalise. A tel point que Kevin Waerwick, professeur de cybernétique à l’université de Reading (Grande Bretagne), estime, sans sourire, que: «Ceux qui décideront de rester humains et refuseront de s’améliorer auront un sérieux handicap. Ils constitueront une sous-espèce et formeront les chimpanzés du futur». Pas moins.
Ce transhumanisme-là - tel qu’il est notamment exercé aujourd’hui par Google - entend même «tuer la mort» avec sa société Calico. Le géant américain a déjà investi des centaines de millions de dollars dans les technologies assistées: la technomédecine ou l’ingénierie génétique pour tenter de rallonger l’espérance de vie. Seulement le mouvement transhumaniste fait, bien souvent, l’impasse sur l’essentiel : l’homme doit avant tout prendre sa santé en main - éventuellement assisté d’un médecin - et agir de manière saine s’il veut vivre plus longtemps. En d’autres termes, les comportements physiques, psychiques et alimentaires impactent davantage la santé que n’importe quelle puce sous-cutanée censément intelligente. Une puce sous la peau, est-on si sûr, d’ailleurs, que cela soit biocompatible ?
Dès lors, pourquoi parier sur une technomédecine qui, dans bien des cas, sauvera moins de vies que l’adoption de comportements alimentaires et physiques sains pour l’organisme ? Ne pas boire d’alcool, ou du moins en boire avec modération ; faire régulièrement de l’exercice physique, quel que soit son âge ; manger équilibré; cultiver une sociabilité heureuse ; respirer profondément; se détendre ; prendre soin de soi et de son corps sont autant de comportements qui retardent le vieillissement. Tout comme écouter, régulièrement, de la bonne musique - celle qu’on aime - afin de sentir en soi se déployer des émotions solaires : la musique véhicule essentiellement, en nous, des émotions positives. Pourquoi ne pas décider de prendre notre santé en main pour tenter d’assurer la prévention de maladies graves ou bénignes et tenter de limiter ainsi les désagréments et autres altérations de nos corps, plutôt que d’attendre des technologies qu’elles nous réparent ou nous augmentent ?
Sagesse
Cela suppose, encore une fois, que l’état de notre santé, comme celui de notre longévité, soit avant tout notre affaire. Joël de Rosnay scientifique, prospectiviste et surfeur âgé de 78 ans, souligne à ce sujet que: «L’épigénétique est la modulation de l’expression de nos gènes en fonction de cinq comportements, connectés constamment dans nos vies de tous les jours : la nutrition, l’exercice sportif, la résistance au stress, le réseau social, amical ou familial, et le plaisir». Il est sans doute préférable de viser de tels objectifs plutôt que d’avaler moult pilules «anti-vieillissement» et de vouloir introduire des machines, si minuscules soient-elles, en nous, afin qu’elles nous préservent de la maladie ou de la mort.
Car si l’intelligence artificielle progresse à grand pas au sein des machines, en quoi, précisément, peut-elle aider l’homme à être plus intelligent ou encore à se sentir mieux ? Un logiciel peut-il vraiment devenir plus intelligent que la nature? On peut en douter. Alors pourquoi, par exemple, ne pas investir davantage dans la recherche botanique pour tenter de comprendre les propriétés génératrices et réparatrices des plantes pour l’homme, plutôt que de miser sur l’intelligence supposée d’un logiciel ?
Pour les transhumanistes, la technologie est souvent seule capable de réparer et d’augmenter l’homme, faisant ainsi l’impasse sur la spiritualité, la psychologie, la nutrition, la qualité du travail, l’épanouissement personnel ou les défis personnels. Le transhumanisme est aussi frontalement engagé dans une médecine à deux vitesses : le confort et la longévité pour les plus riches… Et la maladie et la mort pour les pauvres?
Ne serait-il pas plus intelligent de cultiver au mieux sa propre diététique vitale pour prévenir les maladies et augmenter son potentiel plutôt que de compter sur des logiciels ? Cette diététique vitale devra, bien évidemment, varier selon les moyens, les prédispositions génétiques et l’histoire personnelle de chacun. Mais ne vaut-il pas mieux se dépasser soi-même plutôt que de vouloir dépasser l’autre à tout prix ? Ne vaut-il pas mieux gagner en sagesse, force et sérénité, plutôt que d’investir dans une technologie de plus en plus onéreuse pour vivre censément plus longtemps ? La réponse est dans la question, non ?
Benoît Helme, journaliste