Pour « une dynamique du commerce international plus protectrice que dérégulatrice »

Nous abordons un nouveau cycle des rapports internationaux qui va succéder à une période de libération des échanges commerciaux dont le bilan est aujourd’hui critiqué dans toutes les élections démocratiques, à tort et à raison. La France a un double intérêt national en la matière : ne pas se voir imposer unilatéralement des barrières non tarifaires injustifiées, et ne pas se faire entraîner dans un dumping sur les prix qu’elle ne pourrait pas suivre.

C’est à peu près la même équation pour tous les pays. Ce défi doit nous pousser à éviter une spirale sauvage et à proposer un cadre qui relance une dynamique du commerce international, plus protectrice que dérégulatrice.

Un « passeport de durabilité »

Cette vision peut paraître idyllique compte tenu de la désagrégation du jeu mondial. C’est sûrement vrai si on pense fédérer une « gouvernance mondiale » à court terme. On ne réussirait sûrement pas aujourd’hui à signer la COP21 ! Mais il existe une voie pragmatique pour parvenir à « civiliser la mondialisation » – selon la bonne expression de Pascal Lamy – si on veut répondre aux opinions publiques inquiètes des délocalisations financières et ne pas bloquer les entreprises qui ont besoin de produire au plus près de leurs marchés.

Une solution est « le passeport de durabilité » : les autorités et les citoyens pourraient vérifier que les entreprises respectent un cadre minimum de régulation sociale, environnementale et sociétale pour avoir le droit d’exporter leurs produits.

Ce passage par la micro-économie est réaliste depuis que l’essentiel des entreprises qui interviennent dans le commerce mondial se sont mises à publier leurs données extra-financières, sur les points fondamentaux que sont le respect des droits humains posés par les Nations unies, la décarbonation, la gestion des ressources naturelles, le suivi des conventions sociales de l’Organisation internationale du travail, et plus largement leur relation dynamique aux dix-sept objectifs du développement durable pour ce qui les concernent.

C’est d’autant plus possible que les places de marché sollicitent ce « reporting » dans les comptes et que ceux-ci doivent faire l’objet d’une vérification indépendante et normalisée. Il suffirait de commencer par des indicateurs très simples et peu nombreux et avancer par étapes, en n’omettant pas le suivi des enjeux planétaires les plus cruciaux que les pays d’origine ont signé.

Régulation douce

« Ce passeport de durabilité » n’a de chance de voir le jour que s’il est géré avec l’Organisation mondiale du commerce, avec des possibilités de recours. Trois raisons font penser qu’un « nouveau consensus de Genève » peut encourager ce dispositif.

La sphère financière est de plus en plus familiarisée avec le suivi des risques dits sociétaux qu’elle intègre dans ses choix d’investissement ; la plupart des donneurs d’ordre et des grands financeurs imposent à leur chaîne de valeur une transparence sur ces données qu’on peut appréhender désormais, avec des outils comme Ecovadis, jusqu’à des fournisseurs de rang 4, au fin fond de la Chine ; cette métrique évalue des situations suivies par des organisations internationales, des ONG, des syndicats, des coalitions dans le cadre de démarches volontaires auxquels les marchés sont attentifs. N’est-ce pas la crainte d’un débat d’opinion infini qui a dissuadé de grands groupes de candidater au projet de mur entre les Etats-Unis et le Mexique ?

En posant le fait que les entreprises qui disposeraient de ce passeport n’auraient pas à justifier de contrôles à l’entrée, on créerait un effet de levier puissant, surtout s’il est supprimé en cas de fraude ! Il revient à l’Europe de se faire l’avocate de cette régulation douce, en poursuivant le travail de fond engagé dans ses accords passés avec le Mercosur et la Corée et précisé dans une récente résolution au Parlement européen visant le secteur textile : « L’Union européenne a besoin de nouvelles règles garantissant que les personnes qui travaillent dur pour produire nos vêtements soient traitées avec dignité et respect à l’échelle mondiale. »

La France devrait faire de cette « diplomatie de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) » un moteur de sa politique étrangère à venir. Nos entreprises aiguillonnées et engagées sur ces enjeux sont déjà considérées comme parmi les plus avancées en RSE dans la plupart des notations internationales.

Travailler sur la convergence des outils

On éviterait ainsi de légiférer au seul plan national pour imposer des cadres qui mettent une décennie à être repris par nos concurrents. Cette diplomatie devrait travailler sur la convergence des outils, sur des stratégies d’alliance avec les acteurs de la société civile et sur des priorités sectorielles.

Nos partenaires allemands ont publié une charte, signée par la chancelière, pour la promotion d’une « économie sociale de marché responsable » qu’ils demandent à leurs groupes d’appliquer à l’international. Voilà un terrain où gauche et droite chez nous, pays développés et pays émergents à l’international, peuvent s’entendre, si la vision proposée par l’Europe et la France est claire, simple, progressive, libre mais stimulée par des politiques publiques qui mettront en avant « les marques responsables », non plus sur une base déclarative qui a fini son temps, mais sur une base objective.

Edictés en 1976 en réaction à l’ingérence d’ITT dans les affaires chiliennes, revus en 2010 pour intégrer les problèmes de durabilité de la planète, les principes de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour une « conduite responsable des affaires » ont déjà été signé par cinquante pays. D’ici 2020, il doit être possible d’en faire un cadre mondial exprimant le droit équitable et universel à exporter. En attendant que les Etats soient capables de s’entendre et d’étendre la dynamique, une coalition volontaire peut s’emparer de ce mécanisme et infléchir la mondialisation, en prenant à témoin les marchés et les opinions, dans l’intérêt de la durabilité de la planète.

Patrick d’Humières, animateur de l’Académie de la transition durable. Il est l’auteur de « La Nature politique de l’entrepreneur » (Editions Michel de Maule, à paraître).

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