Pour une Eglise de conviction

Penser à nouveau une Eglise non plus au milieu du village, mais sur la montagne. — © 123 rf
Penser à nouveau une Eglise non plus au milieu du village, mais sur la montagne. — © 123 rf

Dans le cadre de mes études sur Dietrich Bonhoeffer, ce théologien luthérien allemand assassiné par les nazis, je suis tombé sur une brochure intitulée Le village sur la montagne datant de 1939, qui raconte de manière simple et populaire la résistance d’une paroisse allemande à l’idéologie nazie. On a appelé cette période de l’histoire du protestantisme allemand le Kirchenkampf, littéralement le combat de l’Eglise ou pour l’Eglise. Or, je me demande si cette période ne ressemble pas mutatis mutandis à la nôtre.

La question de Dieu intéresse, mais les Eglises sont détestées

Beaucoup de gens se disent certes intéressés par la question de «Dieu», mais détestent «les Eglises» ou même les «abhorrent». Mais cette sorte de mauvaise foi d’un genre nouveau feint d’ignorer que personne n’apprend à comprendre quelque chose, en pédagogie, en politique ou en religion, sans que quelqu’un ne lui en parle, en lui transmettant un «message». Toute école est basée sur une transmission. Et ce quelqu’un ne vient pas de nulle part; ils et elles ont été formés par un ensemble culturel et institutionnel. Il n’y pas de christianisme ou de religion sans Eglise. Saint Augustin le disait déjà: «Je ne croirais pas à l’Evangile si l’Eglise ne m’y poussait».

La marginalisation des Eglises va en s’accélérant

Mais désormais la marginalisation des Eglises est allée en s’accélérant dramatiquement. S’il y a encore des personnes pour utiliser l’expression: «remettre l’Eglise au milieu du village», on se demande s’ils ont pris réellement la mesure de cette marginalisation. Les temples et les églises disparaissent peu à peu ou presque. Comme disent les journalistes: «Les Eglises se vident», ce qui est à la fois faux (ont-ils jamais mis les pieds dans une église?!) et vrai, en tout cas par endroits, un diagnostic général étant très difficile à poser. Dans ces conditions, quelle attitude devons-nous adopter? Il y a trois solutions.

Première solution

Soit on rêve de l’ancien temps, le temps de l’alliance de l’Etat et de l’Eglise, de l’Eglise ayant pignon sur rue, du temps, pour le dire brièvement, de la «religion». Ce temps est passé et nous en avons pris acte. Pour être (et rester) chrétien aujourd’hui il faut avoir traversé la critique de la religion. La religion étant comprise ici comme le rêve imaginaire de contraindre tout le monde à croire comme «nous» contre «les autres». L’autoritarisme chrétien est bien fini.

Deuxième solution

Soit l’on adopte tout simplement la doxa du temps présent et l’on accepte sans critique le slogan: «la religion est une affaire privée». En fait, cette affirmation très superficielle mais partout répétée dissimule une absence de volonté de transmettre. On ne naît pas chrétien, on le devient par éducation. Mais qui s’en préoccupe? Qui en parle à nos enfants et à nos petits-enfants? Qui ici va contrer ce vide que l’on sent partout et qui mine nos sociétés plus fondamentalement que la crise, les attentats ou la politique?

Troisième solution

Soit, troisième voie, penser à nouveau une Eglise non plus au milieu du village, mais sur la montagne. On se retire, on accepte de devenir plus discret, on fait comme ont fait les habitants du plateau du Chambon sur Lignon, avec les pasteurs Trocmé et Thais, qui agirent secrètement pour accueillir des enfants juifs (hier les juifs, aujourd’hui les réfugiés syriens). On l’a complètement oublié: la foi authentique est depuis le commencement du monde en exil, elle se trouve décalée par rapport au monde de la violence, elle se transmet discrètement dans les monastères, les petites communautés de base, les modestes groupes paroissiaux.

Les groupes invisibles, agissant

Nombreux, très nombreux, sont ces groupes invisibles et silencieux qui accueillent, réconfortent, se battent pour tel réfugié, tel requérant d’asile, tel politique persécuté. Le sens de notre époque, pour nous autres chrétiens, est qu’il nous faut passer d’un christianisme comme héritage à un christianisme de conviction. Ce qui veut dire que la marginalisation dont nous parlions est peut-être une chance. L’avenir, c’est cette phrase de Bonhoeffer: «la vie des chrétiens ne consistera demain qu’en deux choses: la prière et l’action en vue de la justice parmi les humains».

Mais qui apprendra à prier à nos enfants? Et qui redira que la foi authentique est une recherche critique du sens et de la justice? Le problème de ce christianisme de conviction que nous appelons de nos vœux sera celui de sa transmission.

Henry Mottu, professeur honoraire de la Faculté de théologie à l’Université de Genève

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