Pour une fédération en Syrie

La guerre civile de Syrie n’est pas tout à fait une guerre civile comme les autres. Sa nature est essentiellement d’ordre religieux et, contrairement à la logique, c’est la minorité religieuse alaouite qui opprime la grande majorité sunnite du pays, depuis la prise en main du Baas syrien par l’Alaouite Hafez al-Assad, père du président actuel. Pour garder le pouvoir alaouite, son fils Bachar n’a pas agi autrement avec la nouvelle révolte sunnite depuis plus de deux ans. Toute solution politique devra prendre en compte ce caractère particulier.

Cette guerre civile syrienne comporte des analogies avec la guerre civile irakienne. En effet, sous Saddam Hussein et d’ailleurs depuis la création de l’Etat irakien, c’est la minorité arabe sunnite qui dominait et brimait, tant les Kurdes au Nord que les Arabes chiites au Sud, largement majoritaires. C’est l’application de la règle démocratique, après la chute de Saddam Hussein, qui a prévalu pour l’arrivée au pouvoir du président chiite Maliki, la majorité arabe chiite provoquant de ce fait la réaction violente des Arabes sunnites sous la forme d’attentats meurtriers. En revanche, l’intervention militaire des Américains et des Britanniques en Irak a eu deux résultats positifs : le premier étant l’élimination de Saddam Hussein, l’un des pires dictateurs de notre temps, et le second étant la création d’une région autonome kurde de l’Irak comprenant les trois provinces d’Erbil, Souleimanié et Dohuk, région qui connaît non seulement la paix civile sous la conduite du président Massoud Barzani mais aussi une prospérité économique.

Or, c’est cet exemple qui nous indique clairement ce qu’il convient de faire en Syrie pour y redresser une économie effondrée et d’abord y ramener la paix, ce qui constitue la plus grande urgence et dont dépend tout le reste.

Alors que faire ?

Il est à noter que les interventions française et/ou américaine ne poursuivent en l’état aucun objectif précis si ce n’est la «punition» - non autrement définie - du chef d’Etat syrien. Il est évident que les seules «frappes chirurgicales» envisagées par les présidents américain et français n’auront, de toute évidence, aucun effet sur la poursuite du conflit. Le président Hollande a d’ailleurs déclaré que «si la France était prête à punir ceux qui ont gazé des innocents, elle ne se donnait pas pour objectif la chute du régime de Bassar al-Assad». Les frappes éventuelles sur la Syrie, même si elles affectaient le régime actuel, ne seraient donc aucunement destinées à faire triompher l’une des parties au conflit puisque subsisterait l’équilibre des forces en présence grâce à leurs appuis respectifs (Russie et Iran pour le régime, Occident et Arabie Saoudite pour les insurgés).

Il faut donc trouver une solution alternative qui ne peut être qu’une pression internationale - passant si possible par le canal du Conseil de Sécurité de l’ONU - sur les deux antagonistes pour exiger, d’abord un cessez-le-feu, puis l’ouverture de négociations afin de déboucher sur une ouverture démocratique.

Certes, il s’agit d’un processus à la fois très difficile et aléatoire. Si néanmoins il réussissait, voici ce qu’il conviendrait d’édifier en gardant à l’esprit la situation en Irak ainsi que l’expérience du mandat français en Syrie entre les deux guerres mondiales. Entre 1922 et 1939, conscientes de la complexité religieuse de la Syrie, les autorités françaises avaient partagé le territoire du mandat en trois Etats distincts : une République «syrienne» au centre et au nord avec Damas et Alep ; une République alaouite sur la partie côtière et un Etat druze au Sud.

Ce système, qui prenait en compte la réalité religieuse de la Syrie, a bien fonctionné jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, époque où la France a décidé de réunifier le pays sous la pression des nationalismes sunnites syriens, avec les conséquences que l’on constate aujourd’hui. Aussi, pour le long terme, la solution raisonnable du conflit interne syrien, la seule qui soit envisageable est la transformation de la Syrie actuelle en un Etat fédéral ou confédéral qui donnerait son autonomie aux deux minorités religieuses alaouite et druze ainsi qu’à la minorité ethnique kurde (non prévue à l’époque du mandat). La nouvelle Syrie aurait donc la composition d’un Etat fédéral (ou confédéral) composé des quatre entités suivantes : une République (ou Etat ou région autonome) centrale de Syrie ; une alaouite ; une druze ; une kurde.

Cette répartition donnerait satisfaction aux deux religions minoritaires dissidentes ainsi qu’à la minorité ethnique nationale kurde dont les habitants n’étaient pas considérés comme des citoyens syriens sous la dictature d’Hafez al-Assad et qui représentent environ 15% de la population totale de la Syrie.

Si elle réussissait, cette expérience syrienne pourrait alors servir de modèle pour la solution des multiples conflits existants au Proche-Orient (en Turquie, au Liban, en Iran et en Irak particulièrement). Quant aux plateaux du Golan, dont l’annexion par Israël n’a été reconnue par aucun Etat, il devrait revenir à la nouvelle Syrie mais avec des dispositions militaires protégeant le territoire israélien.

Certes, à la lumière des terribles événements actuels, cette vision de l’avenir peut paraître utopique. Cependant, existe une nécessité absolue d’agir pour arrêter l’horreur du conflit interne syrien et l’utilisation de l’arme chimique par le régime de Bachar al-Assad.

Le vainqueur de l’Everest a dit, après son exploit : «Ce n’est que lorsque l’on se trouve au sommet de la montagne qu’on se rend compte que l’ascension était possible.»

Bernard Dorin, ambassadeur de France

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