Pour une fiscalité européenne protectrice

Le gouvernement français doit proposer à ses partenaires euro­péens d’instaurer une clause de réciprocité dans les relations commerciales avec les Etats tiers. Reposant sur un impôt européen, elle permettrait des échanges véritablement libres plutôt que le libre-échange non régulé. Fondée sur une logique de mieux-disant, elle aurait pour objectif de faire des échanges commerciaux un instrument de mieux-être social et économique partagé.

Le respect des normes commerciales, sociales, politiques, fiscales et environnementales par les entreprises françaises et européennes est légitime : il favorise une économie éthique, solidaire et créative. Mais il a un coût non négligeable : toutes choses étant égales par ailleurs, l’entreprise qui, sur son territoire, respecte ces normes est moins compétitive, sur son marché domestique comme sur ses marchés d’exportation, que ses concurrents étrangers qui ne les respectent pas. Afin de ne pas subir de nouvelles délocalisations, l’approche purement libérale, souvent préconisée, consiste à supprimer ces normes au nom de la compétitivité des entreprises françaises et européennes.

Principe de « mieux-disant »

Mais si un allégement des contraintes est souhaitable, il ne faudrait pas aboutir à une déréglementation totale et à un moins-disant social, fiscal ou environnemental. Un tel moins-disant n’aurait d’ailleurs aucune limite. Or, nul Européen ne souhaite vivre dans une société sans services publics, sans impôts, sans respect de l’environnement, sans protection sociale, et dans laquelle le travail des enfants serait rétabli. Bien entendu, l’Europe ne peut pas s’abstraire des conditions de production des marchandises et services importés.

C’est pourquoi une clause de réciprocité fondée sur un principe de « mieux-disant » pourrait être adoptée afin de construire un alignement de l’Europe et de ses partenaires sur le meilleur standard. Pour leurs consommateurs, leurs salariés et les entreprises européennes elles-mêmes, il est pertinent de rechercher le mieux-disant plutôt que le moins-disant. Pour l’Europe, il est nécessaire de tirer enfin parti de la force de son marché intérieur, et de proposer aux Européens un modèle de développement autre que celui qui est fondé sur un accroissement de leur pouvoir d’achat grâce à une déréglementation sans limite.

La mise en œuvre de la clause de réciprocité proposée pourra être effectuée en cinq ans. Elle supposera, dans un premier temps, d’identifier les standards commerciaux, sociaux, politiques, fiscaux et environnementaux dont le maintien et l’extension sont souhaitables.

Standard minimum

Cette identification dépendra du niveau européen d’intégration dans les domaines concernés : si une harmonisation, une coopération ou une politique commune européenne est déjà mise en œuvre, celle-ci constituera le standard minimum que devront respecter les entreprises des Etats tiers ; et s’il n’existe pas de standard européen, le standard français pourra constituer le point de départ des propositions européennes.

Dans un second temps, les entreprises des Etats tiers seront incitées à respecter les standards européens ainsi identifiés. Plutôt que l’approche traditionnelle consistant à engager de longues négociations à l’échelle internationale et à adopter des traités internationaux, une approche pragmatique apportera, pour chaque entreprise non européenne qui accède aujourd’hui presque sans limite et sans contrepartie au marché intérieur, à vérifier qu’elle en respecte les standards.

Si tel n’est pas le cas, l’avantage qu’elle en tire sera évalué, et le prix des biens et des services qu’elle propose sera majoré, par une imposition européenne, d’une somme équivalente à cet avantage. Cette contre-mesure, inspirée de la logique antidumping, fera perdre à l’entreprise étrangère l’avantage qu’elle entendait obtenir en se livrant à une concurrence dommageable.

Clause de réciprocité

Et elle financera le budget européen, ce qui permettra de réduire les contributions des Etats membres et de financer de nouveaux investissements. La mise en œuvre de cette clause de réciprocité aura deux séries de conséquences pour les entreprises étrangères. Celles qui ne respecteront pas la norme ou le standard européen n’en tireront aucun avantage économique du fait de l’imposition ; celles qui les respecteront en vue d’éviter le surcoût lié à l’imposition cesseront d’avoir une attitude déloyale.

Susceptible de renforcer la cohérence du programme européen porté par le président de la République, l’introduction d’une clause européenne de réciprocité ne conduira pas à la mise en œuvre d’une politique protectionniste visant à fermer les frontières et à restreindre les échanges, mais à protéger les Européens en luttant contre la concurrence déloyale à l’échelle internationale. La réciprocité impose l’égalité des armes dans la concurrence à laquelle se livrent les entreprises.

A terme, cette mesure permettra de passer d’une compétition parfois destructrice et souvent contraire aux valeurs humaines à une coopération harmonieuse, au service des Européens. Elle contribuera à diffuser les aspects positifs du modèle français en Europe et au-delà des frontières de l’Europe. Elle servira les valeurs de l’Europe unie : la paix, la liberté et la prospérité.

Dans cette attente, la politique fiscale européenne de la France doit consister à soutenir le projet d’assiette commune en matière d’impôt sur les sociétés, la taxe sur les transactions financières qui devient possible du fait du Brexit, et l’accompagnement des excellentes initiatives prises par la Commission européenne en vue de lutter contre la concurrence fiscale dommageable et l’évasion fiscale internationale. Nécessaires, ces trois mesures resteraient toutefois insuffisantes au regard des espoirs de renouveau – voire de refondation – suscités en France et en Europe par l’élection d’Emmanuel Macron.

Par Alexandre Maitrot de la Motte, professeur à la faculté de droit de l’université Paris-Est-Créteil.

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