Après le Mexique dans les années 1980 et le Japon dix ans plus tard, l'Europe est en passe d'allonger la liste des décennies perdues dans l'histoire économique récente. Quel est le point commun entre ces expériences apparemment si différentes ? Dans chaque cas, des erreurs de politique économique transforment une crise temporaire en une longue stagnation qui affaiblit de manière durable l'économie et conduit à son déclassement international.
En Amérique Latine, la réponse à la crise de la dette par ce que l'on appelait déjà des « plans d'ajustement structurels » a été trop lente et a porté un coup d'arrêt brutal à leur rattrapage dans les années 1980.
Au Japon, c'est la restructuration incomplète du secteur bancaire qui a coûté au pays son leadership économique dans les années 1990. En 2014, la zone euro est en passe de perdre à son tour une décennie, car ses décideurs se fourvoient en s'échinant à combattre la plus grande crise de l'après-guerre par des politiques exclusivement structurelles.
Les politiques structurelles modifient les règles de fonctionnement de l'économie (par exemple les règles juridiques ou fiscales) afin d'augmenter la croissance potentielle, de créer des emplois ou de favoriser l'égalité socio-économique.
CLEF DE LA PROSPÉRITÉ FUTURE
Ne nous y trompons pas, ce sont bien ces politiques qui sont la clef de la prospérité future de l'Union Européenne et de la survie à long terme de son modèle économique et social. L'erreur des responsables européens – Commission Européenne, Banque Centrale – a été de préconiser ces politiques comme la solution à la crise aussi brutale que profonde des années 2008-2012.
Cette erreur fut tragique car les préconisations des institutions européennes ont dû être mises en œuvre dans un contexte social très dégradé du fait même de la sévérité de la crise. Bénéfiques à long terme, ces politiques structurelles prennent du temps pour être mises en œuvre et porter leurs fruits. Il n'est pas rare qu'elles aient des effets néfastes à court terme.
Prenons-en un exemple : l'Union Bancaire. La refonte de l'industrie bancaire européenne, fêtée à juste titre, arrive sept longues années après le début de la crise financière et n'est pour l'instant effective que dans les textes et les communiqués. Le seul élément tangible prévu pour 2014 sera l'évaluation de la santé financière des banques européennes (les « stress tests » et l'«AQR»).
Cet exercice est nécessaire, mais il ne favorisera pas la croissance à court terme. Au contraire. Dans l'immédiat, cette évaluation représente plutôt un facteur d'incertitude et n'incite pas les banques à accroître la distribution du crédit dans l'économie. Comment dès lors comprendre la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne ?
PÉRIL
Alors que l'union bancaire appellerait un assouplissement de la politique monétaire pour faciliter le financement de l'économie, la BCE répond aux abonnés absents contrairement aux banques centrales américaine, anglaise et japonaise qui utilisent massivement les instruments monétaires non conventionnels.
Nous fera-t-elle mentir lors de de ses prochaines réunions ? Ne nous y trompons pas, ce sont bien les réformes structurelles qui garantiront la prospérité du modèle européen. Mais elles n'aideront pas à faire face aux crises économiques. Pour l'avoir oublié, la zone euro a prolongé et approfondi la crise économique.
Le résultat est sous nos yeux : croissance faible, investissement atone, endettement public et privé massif, chômage élevé. Cet ensemble met précisément en péril le modèle européen. Dès lors, il ne faudra pas s'étonner si ce dernier trouve peu de soutien dans les urnes lors des prochaines élections européennes.
Par Benjamin Carton (Centre pour la recherche économique et ses applications - Cepremap), Jérôme Héricourt et Fabien Tripier (université Lille-I et Centre d'études prospectives et d'informations internationales - Cepii)