Pour une relance progressiste du projet européen

Voilà maintenant quelques années que l'Europe gouvernée par une majorité conservatrice et libérale s'enfonce dans la crise. Les dirigeants conservateurs et libéraux ont, tant au niveau national qu'européen, échoué à coordonner les plans de relance en 2009. Ils ont été en retrait sur la régulation financière et sont intervenus avec retard face à la crise budgétaire qui a touché la Grèce.

Aujourd'hui, ces mêmes dirigeants s'enferment dans des plans d'austérité renforcée et ne proposent aucune stratégie active de sortie de crise. Ils créent ainsi les conditions d'une récession continentale. Les fondements mêmes de l'Union européenne sont fragilisés par l'absence de solidarité européenne. Pour la première fois depuis longtemps, on voit la résurgence ici ou là de nationalismes antieuropéens.

Les gouvernements européens ont laissé passer une occasion historique de relancer la construction européenne pour répondre aux causes et aux effets de la crise. Ils en porteront la responsabilité devant les générations futures.

L'état des relations entre l'Allemagne et la France explique en partie cette absence de réactivité européenne. Sans idéaliser le passé, il ne fait pas de doute que le moteur franco-allemand a été une réalité et qu'il ne l'est plus aujourd'hui.

Quand on sait combien l'avenir de nos pays est lié, combien nos intérêts sont entremêlés, cet état de fait est profondément regrettable. Il est irresponsable, dangereux et de courte vue de laisser s'installer les faux-semblants, les demi-mesures ou la volonté d'imposer à l'autre partenaire sa conception. Aucune de nos deux nations ne peut penser son avenir sans l'autre, en Europe et dans le monde, face aux nouvelles puissances du XXIe siècle.

Mais il n'y a aucune fatalité. Alors que la France et l'Allemagne offrent le spectacle de la désunion, nous avons décidé d'avancer main dans la main.

C'est notre conviction, en effet, qu'il appartient aux socialistes et aux sociaux-démocrates de proposer une alternative à la gestion désastreuse de la crise par les gouvernements en place, majoritairement conservateurs et libéraux.

Nous avons lancé un travail commun dans le but de refonder une vision franco-allemande et de proposer aux Européens une alternative progressiste à la stagnation et à la régression mises en oeuvre par les droites européennes.

Mercredi 16 juin, avec l'ensemble des responsables du Parti socialiste européen, nous avons présenté nos propositions pour une "sortie de crise progressiste". Pour aller plus loin, le Parti socialiste français et le Parti social-démocrate d'Allemagne ont adopté une déclaration commune "sur le renforcement de la coordination des politiques économiques et sociales au sein de l'Union européenne".

Ce texte rappelle combien il est de notre intérêt commun de coordonner nos politiques et de développer des politiques communes. Une croissance économique durable de l'Union européenne nécessite dans tous les Etats de cette union un équilibre entre la compétitivité en matière d'exportation et la demande intérieure.

Les déséquilibres entre les Etats membres encouragent l'endettement et entravent par là même la stabilité de l'euro. Il nous faut viser, en tendance, un équilibre des balances des paiements courants des pays de l'Union européenne.

Pour atteindre cet objectif, les Etats excédentaires doivent veiller à renforcer leur demande intérieure, et les Etats déficitaires doivent améliorer la compétitivité de leur économie. Chaque restriction à l'un de ces deux objectifs nuit à la prospérité des Etats membres concernés et à la communauté européenne. Voilà pourquoi nous refusons l'alternative dangereuse entre relance et rigueur budgétaire.

IL FAUT DONC UNE STRATÉGIE ÉQUILIBRÉE, QUI S'APPUIE SUR QUATRE PILIERS :

1. Il est temps de passer des discours aux actes pour la régulation des marchés financiers et désarmer la spéculation. A l'exemple de ce qui a été engagé en partie par le président Obama, les Européens doivent renforcer les règles prudentielles applicables aux banques, encadrer strictement les produits dérivés, mieux réglementer les opérations de vente à découvert et améliorer l'indépendance et la transparence de la notation financière, notamment par la création d'une agence européenne.

Cette régulation financière doit s'accompagner d'une régulation commerciale. Nous proposons un pacte européen des échanges extérieurs qui stipule la prise en compte des normes sociales et environnementales dans les relations commerciales de l'Union européenne avec le reste du monde et l'ancrage de ces normes dans les règles du commerce international .

2. Pour consolider les budgets nationaux sans pour autant casser la croissance, il faut trouver de nouvelles sources de revenus justes et durables. Nous proposons, en particulier, l'instauration d'une taxe sur les transactions financières des banques et des établissements financiers qui permettrait d'abonder les budgets publics .

3. Quand ils étaient au pouvoir, nos partis ont pratiqué une gestion rigoureuse des finances publiques. Mais rigueur ne veut pas dire austérité. Pour ne pas pénaliser l'emploi, le retour à l'équilibre budgétaire doit accompagner le retour de la croissance et non le précéder .

4. Il faut rendre les politiques fiscales plus efficaces par une meilleure coordination européenne, ce qui passe notamment par la fin de la concurrence fiscale et sociale qui a miné l'Europe et l'instauration d'un véritable gouvernement économique européen. Cela passe par l'introduction d'une assiette unique et d'un seuil minimal d'imposition pour l'impôt sur les sociétés.

Un nouveau pacte social de progrès permettrait, sans viser à l'uniformité, d'engager la nécessaire convergence par le haut des politiques sociales. Ce pacte européen de progrès social impliquerait pour chaque Etat membre l'instauration d'un salaire minimum tenant compte de la réalité économique et sociale nationale et la fixation d'objectifs quantifiés pour les dépenses d'éducation.

Dans ces domaines décisifs, l'Europe a besoin d'avancées concrètes pour consolider une sortie de crise qui se fait attendre. Notre conviction, face au statu quo voulu par les libéraux, est que l'Europe a besoin d'une nouvelle alliance entre les progressistes européens.

Nos partis ont aujourd'hui la détermination d'être à l'avant-garde de ce nouveau projet progressiste. C'est notre volonté et notre responsabilité devant les peuples européens et devant l'Histoire de refaire du couple franco-allemand un moteur pour le progrès économique, social et politique de l'Europe.

Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste et Sigmar Gabriel, président du Parti social-démocrate allemand.