Pour une union bancaire « toutes taxes comprises »

Au cours de leur conseil commun du 19 février, les ministres français et allemands se sont fixé pour objectif un «programme de rapprochement de la structure de taxation des entreprises». La note dont nous sommes signataires au titre du Conseil d’analyse économique fait des propositions concrètes pour avancer dans cette direction.

Notre première proposition concerne le secteur bancaire. A partir de 2015, toutes les banques de la zone euro et celles de quelques autres pays européens basculeront dans le régime de la supervision unique : même régulation, même surveillance et, un peu plus tard, mêmes procédures de résolution des crises. C’est le projet d’union bancaire.

Or, la fiscalité sur les banques est hétéroclite. En l’état, les banques ne seront en réalité pas traitées de la même manière de Tallin à Lisbonne, alors que l’objectif de l’union bancaire est de rompre le lien entre les Etats et les banques. De fait, les Etats resteront très importants pour les banques (et vice versa), à cause du caractère national de la fiscalité. Il faut une harmonisation fiscale dans ce secteur.

Nous souhaitons fusionner toutes les taxes spécifiques au secteur bancaire (en France, la taxe sur les salaires, la taxe de risque systémique et le droit de timbre) en un seul prélèvement assis sur les salaires et les profits (taxe sur l’activité financière).

Ce prélèvement serait perçu au niveau européen. Il permettrait de mettre sur pied le fonds européen de restructuration des banques plus rapidement que cela n’est envisagé actuellement. Au-delà, il pourrait financer des projets d’investissements paneuropéens dans les infrastructures ou la recherche. A terme, on pourrait aussi envisager de transférer l’impôt sur les sociétés payé par les banques au niveau européen et de l’harmoniser complètement, donnant ainsi naissance à une véritable union bancaire « toutes taxes comprises ».

Cette seconde étape ne pourra cependant voir le jour que si l’on progresse sur l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés pour tous les secteurs. Notre seconde proposition va dans cette direction.

L’harmonisation fiscale est populaire en France et on imagine souvent qu’il en est de même dans les autres pays. Bien sûr, il est difficile de trouver des défenseurs de la double « non-imposition » dont bénéficient certains groupes multinationaux.

Toutefois, lorsqu’on questionne les économistes européens pour savoir s’il est désirable d’aller au-delà de l’initiative de l’OCDE, qui prône la lutte contre l’érosion des bases d’imposition, le sujet est loin de faire l’unanimité.

La concurrence fiscale est en effet souvent vue comme un moyen de rendre les gouvernements efficaces dans leur gestion des deniers publics, de même que la concurrence de marché est efficace pour pousser les entreprises à être compétitives.

Cet argument en faveur de la concurrence est recevable, à condition que cette concurrence se fasse sur des bases saines. Or, c’est là que le bât blesse puisqu’une entreprise peut bénéficier des infrastructures dans un pays sans en payer le prix à travers ses impôts. Pour éviter l’optimisation fiscale vers des cieux plus cléments, chaque Etat membre s’empresse alors d’abaisser son taux d’imposition sur les sociétés et de proposer diverses exemptions, ce qui dégénère en course au moins-disant fiscal, débouchant aujourd’hui sur une fiscalité hétérogène et complexe en Europe, qui représente un coût significatif pour les administrations comme pour les entreprises elles-mêmes.

Pour supprimer cette source d’inefficacité, la Commission européenne a proposé dès 2001 d’harmoniser les assiettes pour l’impôt sur les sociétés. Le bénéfice imposable serait calculé de la même manière dans les différents pays de l’Union européenne. Il ne serait alors plus possible pour une entreprise de surfer sur les 28 codes des impôts nationaux pour débusquer des niches fiscales. L’harmonisation des assiettes réduirait les frais d’avocats-conseils.

Mais la Commission ne s’arrête pas à l’harmonisation. Elle veut aussi consolider les assiettes, additionner les gains et les pertes d’une entreprise dans tous les pays européens, puis répartir cette assiette unique entre les différents Etats membres au prorata d’éléments observables de l’activité dans chaque pays comme l’emploi, le chiffre d’affaires, etc. Chaque Etat prélèverait alors l’impôt au taux de son choix sur la part de l’assiette qui lui revient. Ainsi, le montant d’impôt sur les sociétés d’un groupe ne dépendrait plus que de la localisation physique de son activité dans les différents pays européens et des taux correspondants. Certes, les taux irlandais (12,5 %) continueraient d’exercer une certaine fascination. Mais, pour en bénéficier à plein, une entreprise devrait localiser non pas son bénéfice, mais toute son activité en Irlande. Difficile pour Starbucks !

Nous plaidons pour une reprise des négociations autour de ce projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (Accis), ou d’une variante.

Prenant acte de l’impossibilité de progresser à l’unanimité sur ce dossier, nous pensons qu’une initiative ad hoc, même si elle ne devait réunir qu’un petit groupe de pays, marquerait le point de départ d’une dynamique vertueuse, comme la coordination ad hoc qui, il y a trente ans, a lancé ce qui devait devenir les accords de Schengen.

Les avantages pour les entreprises d’un système plus intégré et moins inefficace pourraient devenir un facteur favorable à la localisation de l’activité dans ce groupe de pays.

En outre, quelques grands pays parlant d’une même voix pourraient exercer un pouvoir de persuasion substantiel sur d’autres Etats appartenant ou non à l’Union européenne – il n’est qu’à observer ce qu’ont obtenu les Etats-Unis depuis un an en matière de coopération fiscale. Pourquoi l’Europe se refuse-t-elle les avantages que lui confère sa taille ?

Agnès Benassy-Quéré est professeur à l’Ecole d’économie de Paris, université Paris-I. Alain Trannoy est directeur d’études à l’EHESS et directeur de l’Ecole d’économie d’Aix-Marseille. Guntram Wolff est directeur du centre de réflexion Bruegel (Bruxelles). Tous trois sont les auteurs de « Renforcer l’harmonisation fiscale en Europe », note du Conseil d’analyse économique no 14, juillet.

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