Pour une union budgétaire et fiscale

L'euro ne nous a pas protégés contre les pressions financières après la crise américaine. Depuis 2010, le maintien de la monnaie unique est conditionné par des mesures libérales : austérité, flexibilité de l'emploi, réformes structurelles et baisse des salaires. Peut-on combattre ces mesures et encore défendre la monnaie européenne ? La liberté des capitaux a eu l'effet pervers d'exacerber les chocs au sein de la zone euro. Les capitaux circulent librement, contrairement aux travailleurs. Aussi, en 2010, les investisseurs ont fui la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Italie, et le chômage a augmenté brutalement car rien n'a fait contrepoids. Les gouvernements ont alors opté pour l'austérité afin de « rassurer les investisseurs ». Ces mesures sont dans la continuité des traités votés depuis Maastricht, qui ont favorisé la libéralisation financière sans prévoir de force de rappel politique, sans contre-pouvoir à la finance. Bref, la monnaie unique est indéfendable.

Pour autant, le retour aux monnaies nationales n'est pas la solution. D'une part, la souveraineté monétaire ne nous mettrait pas à l'abri de la spéculation. Si les marchés financiers considèrent que la parité d'une monnaie n'est pas réaliste, ils spéculent à la baisse, comme en 1992. Les tensions après la réunification allemande avaient jeté le discrédit sur le système monétaire européen et conduit à une série d'attaques spéculatives entraînant la sortie définitive de la livre sterling. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Le retour aux monnaies nationales les rendrait encore plus vulnérables à l'appréciation des marchés financiers. Etant donné la puissance financière acquise par les géants bancaires depuis vingt ans, aucune banque centrale nationale ne saurait résister à une attaque coordonnée. Et les spéculateurs disposent d'instruments sophistiqués permettant de contourner les contrôles de capitaux.

D'autre part, se pose le problème de la gestion de la sortie de l'euro : en quelle monnaie honorer les dettes ? Dans l'hypothèse d'une dévaluation de 30 %, il faudrait rembourser 30 % de plus pour le même salaire ou le même chiffre d'affaires. Cette dégradation du bilan des ménages et des entreprises reviendrait à une faillite générale. Pour l'éviter, il faudrait que les autorités décrètent un taux de change hors marché qui permette que les contrats soient honorés sans détruire les bilans privés. Comment éviter le désordre social ? Quel gouvernement sera capable d'imposer les règles de remboursement sans subir un vaste soulèvement ? Les cas chypriote et argentin sont révélateurs des tensions sociales dans ce genre de crise.

Le principal défaut de la zone euro est devenu évident après la crise financière de 2008. L'absence de transferts fiscaux entre membres de la zone a été fatale. Tout s'est passé comme si le département des Pyrénées-Orientales, qui a vu son taux de chômage passer de 10 % à 15,7 % en cinq ans, devait faire seul face à ses problèmes fiscaux. Comme si, quand le chômage augmente de 50 %, le département devait lui-même financer cette hausse de dépenses plutôt que de bénéficier d'un transfert automatique de la caisse d'assurance-chômage. Sans transfert automatique, les investisseurs fuiraient le Pas-de-Calais (14 % de chômage), le Gard (14,5 %) ou les Pyrénées-Orientales pour aller dans les Hauts-de-Seine (8,1 %). En réalité, ces transferts permettent l'intégrité du territoire français et aussi le fonctionnement d'une monnaie commune.

Au total, pour faire de l'euro une monnaie complète, il nous faut mettre en place l'union budgétaire et fiscale. Il nous faut mutualiser les dettes publiques en créant l'équivalent des bons du Trésor américain. Il nous faut un véritable Parlement budgétaire afin de déterminer démocratiquement l'assiette et le taux des impôts qui doivent être mis en commun. Il est possible de faire de l'euro une monnaie au service de la souveraineté populaire. Encore faut-il faire le choix courageux de fonder une véritable fédération de la zone euro. Un choix social-démocrate, non ?

Par Anne-Laure Delatte, chargée de recherche au CNRS et à l'OFCE. Elle est signataire du Manifeste pour une union politique de l'euro.

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *