Pourquoi la haine antijuive et xénophobe du tueur s’est cristallisée sur un groupe qui tend la main aux réfugiés

Au-delà du choc et de l’émotion profonde suscitée par le massacre de onze personnes, tuées en tant que juives, dans un lieu de culte à Pittsburgh, le 27 octobre 2018, un élément de l’enquête nous interpelle. Pourquoi au moins deux « posts » antisémites mis en ligne par le meurtrier, avant la fusillade, accusent-ils une agence juive américaine de secours aux réfugiés ? Comment se combinent haine antijuive et sentiment xénophobe à l’égard des immigrants ? Faut-il inscrire cette réaction viscérale dans une rhétorique faisant écho aux partisans de l’extrême droite américaine qui décèlent chez les réfugiés, comme par le passé, une menace de subversion et un danger pour la préservation de la société américaine ?

Le tueur, Robert Bowers, écrit : « HIAS [Hebrew Immigrant Aid Society, Société d’aide aux immigrants juifs] se plaît à faire venir des envahisseurs qui tuent les nôtres. Je ne peux pas rester les bras croisés et voir mon peuple se faire massacrer. » Fondée en 1881 pour venir au secours des Juifs fuyant les pogromes de la Russie tsariste et plus généralement ceux d’Europe de l’Est, l’HIAS a joué un rôle majeur. En coopération avec d’autres agences de secours juives comme le célèbre Joint (American Jewish Joint Distribution Committee), ainsi qu’avec des organisations non juives, HIAS-HICEM a aidé des milliers de Juifs à fuir une Europe meurtrière pendant la Shoah.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’agence juive américaine a redoublé d’efforts pour aider les personnes déplacées juives (DPs) à quitter les camps de réfugiés en Allemagne, Autriche et Italie et à reconstruire leur vie aux Etats-Unis, en Israël et dans d’autres pays. Poursuivant avec la même ardeur son rôle de représentant de la communauté juive américaine, HIAS a continué à aider les juifs en danger, que ce soit en Egypte, au cours d’opérations de secours en Ethiopie, en Iran ou en Syrie. L’agence de secours s’est illustrée pour son aide aux juifs d’URSS.

Multiculturalisme

Les cinq dernières années ont vu la transformation d’une agence qui, désormais, ne dispense plus son aide à des réfugiés « parce qu’ils sont juifs » mais « parce que nous sommes juifs », affirme son actuel président Marc Hetfield. Ces explications suffisent-elles pour comprendre pourquoi la haine antijuive et xénophobe du tueur s’est cristallisée sur un groupe qui tend la main aux réfugiés, leur administre soins et soutien, quelles que soient leur ethnie et leur religion ?

La rhétorique des néonazis et des partisans de l’extrême droite radicale américaine ne fait guère bon ménage avec le penchant pour le multiculturalisme des Américains juifs libéraux et leur aspiration à être le « gardien de leurs frères ».

Bien que fragmentée, la communauté juive garde le souvenir que ses ancêtres ont été « des étrangers au pays d’Egypte », comme le rappelle L’Ancien Testament. Cette obligation morale constitue une des raisons pour lesquelles l’agence juive d’aide aux réfugiés HIAS s’est vigoureusement opposée à la décision de l’administration Trump de limiter de façon drastique la venue des réfugiés musulmans aux Etats-Unis.

Françoise Ouzan est l’auteure d’une « Histoire des Américains juifs » (éd. André Versailles, 2008), elle vient de publier « How Young Holocaust Survivors Rebuilt their Lives : France, the United States, and Israël » (Indiana University Press).

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