Pourquoi le “Burkini” est inacceptable

Les affaires liées au « burkini », à Marseille, à Cannes, en Corse puis au Touquet, relancent le débat sur la tenue islamique, entre burqa et hidjab. Une fois de plus, le droit à pratiquer librement sa religion est invoqué face aux exigences de la laïcité. Pour le juge administratif statuant sur l’arrêté interdisant le port du burkini à Cannes, « le port d’une tenue vestimentaire distinctive, autre que celle d’une tenue habituelle de bain, peut être interprété comme n’étant pas, dans ce contexte [après l’attentat de Nice], qu’un simple signe de religiosité ». Mais de quoi donc une telle tenue est-elle le signe, et pourquoi suscite-t-elle une telle hostilité dans l’opinion alors que d’autres marqueurs de l’islam, telle la pratique du ramadan, sont vus de manière plutôt favorable ?

Il suffit d’observer les conflits qui se nouent à son sujet au sein des pays musulmans, de l’Iran à l’Egypte, de l’Afghanistan au Mali, pour voir que, si l’islam est mis en avant pour justifier le port d’une version plus ou moins rigoureuse de tenue islamique, celle-ci, contrairement au ramadan, n’est pas une expression de l’islam en général. Elle témoigne d’une conception de la société, nullement hégémonique en terre musulmane, dont une pièce essentielle est un strict contrôle des femmes, de leurs faits et gestes, associée à un désir de soumettre étroitement leur existence à la volonté des hommes dont elles dépendent, père, frère ou mari. Cette conception de la société s’incarne dans un ensemble de normes sociales, dont le respect est assuré par la pression de la communauté et parfois par la loi, normes parmi lesquelles on trouve celles qui concernent la tenue des femmes. L’hostilité à la tenue islamique est une hostilité à cette conception de la société, conception qui pose problème à plusieurs titres.

Gage de paix sociale

En France, une norme sociale demande une certaine discrétion dans l’expression publique de ce qui met à part rang social, convictions politiques ou religieuses. On a là un élément essentiel de la paix sociale. Il ne s’agit pas d’une stricte neutralité, telle celle qui est associée à une vision radicale de la laïcité, mais d’une forme de modération – ne pas provoquer. Le chrétien le plus convaincu et qui n’en fait pas mystère n’aurait pas idée de coudre sur ses vêtements la croix des croisés. Ne pas respecter cette norme, c’est refuser de participer à un monde commun.

La tenue islamique est un signe difficilement acceptable dans une société attachée à l’égalité entre hommes et femmes, d’autant plus, peut-être, que cette égalité est encore loin d’être acquise. Quand plusieurs groupes humains se rencontrent, ce que les anthropologues appellent « l’échange des femmes » – chaque groupe humain, pour échapper à la tentation de l’inceste, doit épouser les femmes d’un autre groupe et accepter qu’on s’allie avec celles de son propre groupe – constitue un élément fondamental d’une véritable alliance. L’islam orthodoxe refuse cette alliance ; à la manière des conquérants, il veut bien prendre, non donner. La tenue islamique proclame que celles qui la portent prennent part à ce refus, refus qui rend impossible une pleine intégration des musulmans dans une société non musulmane.

Toutes ces formes de mise à part alimentent la construction d’une forme de contre-société, rebelle à l’Occident et à ses valeurs, fournissant ainsi un terreau favorable, chez les plus convaincus, à l’éclosion de vocations terroristes. Mais, dira-t-on peut-être, celles qui portent une tenue islamique peuvent avoir des motivations très diverses, autres que l’instauration d’une norme sociale associée à un grand projet de société. Sans doute. Mais, dans la diffusion et l’imposition d’une norme sociale, peu importent les motivations individuelles de chaque personne concernée. Que celles qui adoptent une tenue islamique cherchent simplement à avoir la paix dans le quartier où elles demeurent, désirent se faire bien voir par leur entourage, soient contraintes par leur père ou leur mari, aient peur de griller en enfer ou soient militantes d’un islam de combat, l’effet de leur conduite sur la diffusion de la norme est le même.

Et quand une manière d’agir est le symbole d’un projet de société, nul n’est fondé à affirmer que seules des raisons intimes, sans rapport avec ce projet, sont concernées. C’est objectivement que l’emprise de celui-ci est en question. Mettre en avant la liberté souveraine de chaque individu pour étendre l’usage d’un instrument de contrôle social ne peut que décrédibiliser ceux qui jouent ainsi sur les mots. Le projet de société associé au port de la tenue islamique a déjà conquis une partie non négligeable du territoire. Un nouvel épisode se joue maintenant autour du « burkini ». La résistance sera-t-elle suffisante avant qu’il ne soit trop tard ?

Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS et l’auteur de L’islam devant la démocratie  (Gallimard, 2013, 16,90 €) et de Chrétien et moderne, (Gallimard, 240 p., 20 €).

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