Pourquoi les Chinois ne haïssent-ils pas leur gouvernement?

Fête musicale dans une piscine. Wuhan, août 2020. — © REUTERS
Fête musicale dans une piscine. Wuhan, août 2020. — © REUTERS

Il y a un an apparaissait en Chine – dans des circonstances qui restent à élucider – un virus qui allait mettre la planète à l’arrêt durant des mois. Aujourd’hui, alors que l’Europe et les Etats-Unis sont toujours en partie paralysés par le covid, la Chine affiche sa maîtrise de la pandémie et, à Wuhan, «ground zero» du SARS-CoV-2, on festoie dans les parcs, les discothèques et les restaurants dans une relative insouciance. Au-delà des mises en scène à des fins de propagande, il est indéniable que Pékin marque des points sinon aux yeux du reste du monde, du moins à ceux de sa population. La légitimité du Parti semble plus forte que jamais.

Si l’image de la Chine se dégrade sur le plan international pour de multiples raisons – camps du Xinjiang, répression à Hongkong, dictature digitale, censure, mensonges sur le covid, protectionnisme, arrogance diplomatique, menace militaire envers ses voisins, etc. – le patriotisme des Chinois va en se renforçant. De notre point de vue, les Chinois auraient toutes les raisons de haïr leurs autorités liberticides. On constate au contraire une adhésion nouvelle, en particulier chez les jeunes, au cap fixé par le pouvoir. Comment comprendre, selon des sondages (certes discutables) menés par des instituts étrangers, que les Chinois sont parmi les plus optimistes?

Mieux que ses parents

L’an dernier, SupChina, excellent site américain d’information sur la Chine, se posait déjà la question. Pourquoi les Chinois s’accommodent-ils d’un Parti communiste que Washington désigne comme le principal défi au mode de vie démocratique? Vouloir expliquer cet apparent hiatus ne revient pas à se faire l’avocat de Pékin, mais permet de saisir la psyché d’une nation qui revient de loin. Un exercice nécessaire. Pour cerner cette adhésion, les rédacteurs de SupChina identifient quatre facteurs.

A commencer par l’économie avec un argument, au-delà des chiffres de croissance du PIB, qui fait mouche. L’âge médian des Américains et des Chinois est désormais identique: 37 ans. Alors que la moitié la plus jeune des Américains n’aura connu que les guerres, les crises économiques et une stagnation des revenus, la moitié la plus jeune des Chinois a vécu une ère continue d’augmentation des richesses et de stabilité, la crise de 2009 ayant été surmontée sans grand dommage grâce à un vaste plan de relance. La pauvreté est en partie éradiquée et les Chinois vivent mieux que leurs parents.

L’Etat manager

Cette réussite – c’est le deuxième point – est associée aux compétences du gouvernement dans son pilotage macroéconomique. Le succès de la Chine est celui de son Etat manager, un Etat qui a permis au pays le plus peuplé, en un quart de siècle, de mettre en place un vaste réseau ferroviaire et d’autoroutes, ainsi que des infrastructures digitales plus performantes qu’aux Etats-Unis. Si le Parti communiste a provoqué des catastrophes à la chaîne durant ses trente premières années au pouvoir, depuis quarante ans Pékin dirige la modernisation du pays avec des résultats indéniables.

La troisième raison tient à l’histoire et à son interprétation: les Chinois sont éduqués dans le souvenir d’une grandeur impériale passée, d’«un siècle d’humiliation» provoqué par l’irruption des puissances étrangères et dans l’idée que la démocratie c’est le chaos, les débuts de la République chinoise, à partir de 1912, en étant la meilleure démonstration. Cette lecture est discutable, mais elle est largement partagée dans le monde chinois.

La soumission ne suffit pas

Le quatrième facteur, celui que l’on voit prioritairement ici, tient à l’éducation, au contrôle des médias et à la propagande. Le Parti communiste excelle dans ce registre, sa carte maîtresse n’étant pas Marx ou Mao, mais le confucianisme remis au goût du jour. Cette idéologie vieille de 2000 ans prône la soumission de l’individu à l’autorité au nom du bien commun. Les Chinois sont prêts à abandonner une partie de leurs libertés en échange d’une prospérité collective.

On est tenté d’ajouter un cinquième facteur: celui de la contrainte dans un Etat de surveillance permanente qui casse toute velléité d’opposition. Mais crée-t-on de l’adhésion avec la contrainte? La soumission ne suffit pas à expliquer l’acceptation de directives impensables en Europe. Cela signifie-t-il que les Chinois sont culturellement programmés pour subir ce mode de pouvoir, la dictature? On peut en douter. Comme dit SupChina, «les régimes autoritaires sont stables, jusqu’à ce qu’ils ne le soient soudainement plus»… Le jour où une nouvelle révolution viendrait à éclater, on identifiera aussitôt quantité de signes annonciateurs: explosion des inégalités, corruption massive, injustices, les insatisfactions ne manquent pas. Mais aujourd’hui, tout indique que les Chinois sont plus enclins à soutenir leur pouvoir qu’à le renverser.

Frédéric Koller, journaliste.

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