Pourquoi les hommes sont-ils plus sportifs que les femmes ?

Aux jeux olympiques de Pyeongchang, comme à ceux de Sotchi (2014) ou à Rio (2016), les femmes sont moins nombreuses dans les délégations nationales et rapporteront moins de médailles (deux fois moins à Rio, trois fois moins à Sotchi).

Dès le départ, des inégalités dans les pratiques sportives conditionnent ces résultats médiocres. Comment identifier les obstacles et diminuer les écarts ? Deux études réalisées à Bordeaux et à Genève proposent une méthode pour mesurer et analyser ces inégalités, ainsi que des préconisations pour accompagner l’accès des femmes à la pratique sportive. Car les pratiques sportives des femmes butent sur des obstacles qu’il s’agit d’identifier afin de pouvoir efficacement résoudre les problèmes.

70 % des budgets et des équipements sont consacrés aux garçons

La première approche est budgétaire et comptable : sur la masse des moyens publics accordée aux pratiques sportives, quelle somme revient respectivement aux hommes et aux femmes ? Combien de licencié·e·s des deux sexes dans les clubs subventionnés ? Combien de bénéficiaires par sexe des activités proposées directement par les services municipaux de la jeunesse, des sports, de la politique de la ville ? Dans les deux villes objets de l’étude, ainsi que dans d’autres collectivités qui se sont exposées à cet exercice, environ 70 % des moyens sont consacrés aux garçons et aux hommes. Cette proportion s’aggrave si l’on considère la mise à disposition des équipements sportifs. Certes, de nombreux équipements sont mixtes (piscines). Quelques-uns sont exclusivement occupés par des femmes (salles de danse, de gym). Mais la majorité du parc est consacré aux sports masculins, que ce soit dans des équipements mis à disposition des associations et clubs (salles et stades) ou dans les nombreux équipements sportifs d’accès libre dans la ville (skateparks, citystades), en principe destinés à toutes et à tous mais exclusivement occupés par des hommes. Une cartographie de ces équipements et de leur utilisation par sexe fait partie du recensement nécessaire à l’élaboration d’une politique égalitaire.

Les femmes font autant de sport que les hommes, elles sont moins subventionnées

Ce constat sévère, révélant une inégalité devant l’impôt, a été présenté lors des enquêtes aux élu·e·s, responsables de service, directrices et directeurs de clubs. Les chiffres étonnent d’abord, puis sont mis en question ou relativisés. Ensuite, les explications fusent : certes, il y a moins de femmes dans le sport, mais il y en aurait de plus en plus. Les femmes seraient moins enclines à faire du sport, plus portées vers les arts ou les études. Elles auraient moins le goût de la compétition, auraient tendance à se replier sur elles au moment de l’adolescence, seraient plus tournées vers la famille. Les garçons, eux, auraient naturellement besoin de jouer et de se dépenser dans des activités sportives, nécessaires pour canaliser leur violence. Or, paradoxalement, nos études montrent que les femmes aiment le sport, qu’elles ont presque autant de pratiques sportives que les hommes, mais que ce goût est contrarié concrètement dès l’enfance. D’abord par la non-mixité des pratiques sportives qui entérine la supposée supériorité physique des garçons et amène les deux classes de sexes à se séparer dès l’adolescence, au détriment des filles : difficulté à constituer des équipes féminines et des clubs dans les disciplines réputées masculines (foot, rugby, vélo), manque de moyens chroniques dans des disciplines réputées féminines telles que la gymnastique et toutes les formes de danse. Ce décrochage des filles est aggravé par le sexisme et la pression sur leur corps, comme le montrent les études sur les pratiques sportives au collège. Il se poursuit à l’âge adulte pour celles qui ont des enfants et peinent à concilier vie familiale et vie professionnelle. Le déficit de propositions sportives à destination des femmes augmente mécaniquement et amplifie leurs difficultés pour trouver une offre adaptée, tandis que les propositions en direction des hommes se multiplient et se diversifient. Comment les femmes réussissent-elles cependant à faire du sport ? Dans les pratiques libres (course, vélo, marche) ou commerciales (fitness, aquagym, yoga, pilates) qui offrent une souplesse d’adaptation pour les horaires, au contraire des clubs et équipements subventionnés dont les heures d’ouverture sont difficilement conciliables avec les temps du travail domestique et celui consacré aux enfants. Ainsi, le sport des femmes est-il plus souvent payant pour elles et gratuit pour les collectivités, l’essentiel de la ressource publique étant consacré au sport masculin. Dans le cas des activités libres dans la ville, un autre obstacle s’élève : le sentiment d’insécurité dans certains quartiers ou la nuit. Dans les entretiens réalisés, les exemples de sexisme, d’insultes lesbophobes, de harcèlement et d’agressions sexuelles envers les sportives sont nombreux, montrant à quel point le sport des femmes dans la ville peine à passer comme une pratique sociale ordinaire, au contraire du sport masculin.

Sport et citoyenneté : une imposture sans l’égalité entre les femmes et les hommes

Face à cette situation, les villes qui se sont attaquées au problème (notamment, la ville de Bordeaux) ont mis en place un observatoire du sport féminin afin de quantifier ces inégalités et élaborer une programmation pour rétablir année après année l’équilibre : subventions accordées sur des contrats d’objectifs, plages réservées aux femmes dans les équipements sportifs, mixité et égalité dans les projets d’animationsportive des quartiers, sécurisation et encouragement des pratiques sportives dans l’espace public. Ce que le sport spectacle ne peut ou ne veut pas faire, c’est aux financements publics de le réaliser en faisant la promotion du sport mixte et du sport féminin. C’est une question d’égalité devant l’impôt. Mais il s’agit aussi de promouvoir une citoyenneté par le sport qui ne soit pas réservée aux garçons, comme l’a été la citoyenneté républicaine, privant durant cent ans les femmes françaises du suffrage universel, un retard qui plombe encore aujourd’hui notre démocratie. Le rattrapage ne doit pas être optionnel, c’est une question de justice. Tout le monde y gagnera, même les garçons qui pâtissent souvent des effets secondaires d’une éducation sportive entre pairs, marquée par le virilisme, le sexisme et l’homophobie.

Yves Raibaud, géographe, université Bordeaux-Montaigne, Passages CNRS


Une version de cet article a été publiée le 31 janvier dans la revue 50 / 50 le Magazine de l’égalité femmes-hommes.

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